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dispositif de désendettement des rapatriés

suspension automatique des poursuites

atteinte à la Convention de sauvegarde des droits de l’homme (oui)

demande de reprise des poursuites

autorité de la chose jugée (oui) rejet de la demande

Question évoquée : effets des revirements de jurisprudence

 

 

 

Cassation civile 2e 5 février 2009

Cour d’appel de Toulouse du 3 septembre 2007 (N° 08-10.679)

N° de pourvoi: 08-10679

 

Rejet

 

 

Sur le moyen unique :

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 3 septembre 2007), que la société CHAURAY CONTROLE a mis en oeuvre une procédure de saisie immobilière à l’encontre de la SCI des Sauges, son débiteur ; qu’en appel, l’arrêt du 27 janvier 2003 a prononcé la suspension des poursuites en application du dispositif de désendettement des rapatriés installés dans une profession non salariée ; la société CHAURAY CONTROLE a alors déposé un dire, le 10 juin 2004, tendant à être autorisée à reprendre les poursuites ;

 

Attendu que la société CHAURAY CONTROLE fait grief à l’arrêt de déclarer cette demande irrecevable, alors, selon le moyen, que, selon l’article 1351 du code civil l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque la demande est fondée sur une cause différente de celle qui a donné lieu au jugement ou lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; que la constatation, par un arrêt de la Cour de cassation, de l’incompatibilité d’une loi avec les stipulations de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 6 § 1, constitue un événement qui modifie la situation antérieurement reconnue en justice sur le fondement de cette loi, qu’en l’espèce, par un arrêt en date du 7 avril 2006 l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que les dispositions relatives au désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, résultant des articles 100 de la loi du 30 décembre 1997, 76 de la loi du 2 juillet 1998, 25 de la loi du 30 décembre 1998, 2 du décret du 4 juin 1999 et 77 de la loi du 17 janvier 2002, qui organisent, sans l’intervention d’un juge, une suspension automatique des poursuites, d’une durée indéterminée, portent atteinte, dans leur substance même, aux droits des créanciers, privés de tout recours, alors que le débiteur dispose de recours suspensifs devant les juridictions administratives ; qu’en opposant néanmoins à la demande de la société CHAURAY CONTROLE l’autorité de chose jugée d’un jugement du tribunal de grande instance de Toulouse du 18 juillet 2002 et d’un arrêt confirmatif de la cour d’appel du 27 janvier 2003, rendus sur le fondement de ces dispositions législatives et réglementaires devenues depuis lors inapplicables, la cour d’appel a méconnu les dispositions susvisées ;

 

Mais attendu qu’ayant relevé que, par jugement du 18 juillet 2002 confirmé le 27 janvier 2003, le tribunal avait constaté, dans son dispositif, que la SCI des Sauges bénéficiait de la suspension des poursuites de plein droit, jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les recours administratifs ou judiciaires engagés et prononcé la suspension de la procédure de saisie immobilière, et que ce jugement avait l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranchait, la cour d’appel en a justement déduit que la société CHAURAY CONTROLE, n’était pas recevable, fût-ce sur le fondement d’une jurisprudence apparue postérieurement, à prétendre réouvrir les débats devant le même juge, sur la même contestation, entre les mêmes parties et sur leurs mêmes droits ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

 

Condamne la société CHAURAY CONTROLE aux dépens ;

 

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société CHAURAY CONTROLE ; la condamne à payer à la SCI des Sauges la somme de 1 500 euros ;

 

 

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

 

 

Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils pour la société CHAURAY CONTROLE.

 

Le pourvoi fait grief à l’arrêt confirmatif de la Cour d’appel de Toulouse du 3 septembre 2007 d’avoir accueilli la fin de non-recevoir opposée par la SCI DES SAUGES tirée de la chose jugée les 18 juillet 2002 et 23 janvier 2003 l’admettant au bénéfice de la suspension des poursuites jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les recours juridictionnels engagés contre la décision de rejet de sa demande prise par la Commission nationale d’aide à l’installation des rapatriés,

 

AUX MOTIFS QUE, sur la suspension des poursuites, par un jugement sur incident du 10 juillet 2002 confirmé en appel le 27 janvier 2003, le Tribunal de grande instance de Toulouse a, au visa des articles 100 de la loi du 30 décembre 1997 modifiée par les lois des 2 juillet 1998 et 30 décembre 1998, 62 de la loi de finances du 31 décembre 2000 et du décret du 4 juillet 1999, constaté en son dispositif « que la SCI DES SAUGES (bénéficiait) de la suspension des poursuites de plein droit prévue par l’article 100 susvisé jusqu’à la décision de la CONAIR sur la recevabilité, et l’éligibilité de son dossier et l’élaboration éventuelle d’un plan d’apurement ou le rejet de la demande en application de l’article 8 du décret du 4 juillet 1999, et en cas de recours contre cette décision jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les recours administratifs ou judiciaires engagés », et en conséquence prononcé la suspension de la procédure de saisie immobilière à l’encontre de la SCI DES SAUGES ; que ce jugement a l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il a tranchée à cet égard ; qu’en application de l’article 481 du nouveau Code de procédure civile, le juge a été dessaisi de la contestation ainsi tranchée ; que la société CHAURAY CONTROLE n’est donc pas recevable, fût-ce en invoquant des moyens de droit nouveaux, à prétendre réouvrir les débats devant le même juge sur la même contestation entre les mêmes parties et sur leurs mêmes droits, ce qui est bien le cas d’espèce puisqu’elle prétend faire reconsidérer le droit de la SCI DES SAUGES à bénéficier de la suspension des poursuites jusqu’à ce qu’il ait été définitivement statué sur les recours juridictionnels engagés contre la décision de rejet de sa demande intervenue depuis le précédent jugement, alors que ce droit est définitivement jugé ; que le caractère provisoire de la mesure n’est pas de nature à ouvrir la possibilité pour la société CHAURAY CONTROLE de la faire reconsidérer dès lors que le terme en a été exprimé par la décision revêtue de l’autorité de la chose jugée et n’est pas advenu ; qu’une jurisprudence apparue postérieurement qui aurait conduit à ne pas admettre à l’époque la suspension des poursuites, n’est pas de nature à permettre de remettre en cause la chose définitivement jugée ; que la modification apportée au décret du 4 juin 1999 n’a pas d’effet rétroactif ;

 

Alors que selon l’article 1351 du Code civil l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque la demande est fondée sur une cause différente de celle qui a donné lieu au jugement ou lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; que la constatation, par un arrêt de la Cour de cassation, de l’incompatibilité d’une loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et notamment son article 6 § 1, constitue un événement qui modifie la situation antérieurement reconnue en justice sur le fondement de cette loi ; qu’en l’espèce, par un arrêt en date du 7 avril 2006 l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que les dispositions relatives au désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, résultant des articles 100 de la loi du 30 décembre 1997, 76 de la loi du 2 juillet 1998, 25 de la loi du 30 décembre 1998, 2 du décret du 4 juin 1999 et 77 de la loi du 17 janvier 2002, qui organisent, sans l’intervention d’un juge, une suspension automatique des poursuites, d’une durée indéterminée, portent atteinte, dans leur substance même, aux droits des créanciers, privés de tout recours, alors que le débiteur dispose de recours suspensifs devant les juridictions administratives ; qu’en opposant néanmoins à la demande de la société CHAURAY CONTROLE l’autorité de chose jugée d’un jugement du Tribunal de grande instance de Toulouse du 18 juillet 2002 et d’un arrêt confirmatif de la Cour d’appel du 27 janvier 2003, rendus sur le fondement de ces dispositions législatives et réglementaires devenues depuis lors inapplicables, la Cour d’appel de Toulouse a méconnu les dispositions susvisées.

 

 

 

Commentaires :

 

Nous avons déjà attiré l’attention des visiteurs du site sur différents inconvénients juridiques qui se retrouvent combinés dans la présente affaire :

 

A propos des difficultés de recouvrement des charges dues par certaines sociétés civiles immobilières (SCI), il s’agissait de l’utilisation abusive du « dispositif de désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée » lorsque les associés pouvaient s’en prévaloir. Ce dispositif (articles 100 de la loi n° 87-1269 du 30 décembre 1997, 76 de la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998, 25 de la loi n° 98-1267 du 30 décembre 1998 et 77 de la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002 ) interdisait aux créanciers l’accès à la justice pour un temps indéterminé par le biais d’une suspension des poursuites. (Voir 1-5-6 les sociétés civiles)

Sur ce point nous avons signalé l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 7 avril 2006 jugeant « que si l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales permet à l’État de limiter le droit d’accès à un tribunal dans un but légitime, c’est à la condition que la substance même de ce droit n’en soit pas atteinte et que, si tel est le cas, les moyens employés soient proportionnés à ce but ; » (Voir l’arrêt Cass 07/04/2006-1)

 

Nous avons également signalé que, par ses revirements parfois tonitruants, la Jurisprudence contribue à l’instabilité du droit. La Cour de cassation a fait valoir qu’une nouvelle jurisprudence ne trouble pas la sécurité juridique. Celle ci « ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit » [1]. (Voir 1-1-5 la sécurité juridique et le statut de la copropriété)

 

On retrouve dans l’arrêt du 5 février 2009 reproduit ci-dessus l’ensemble de ces difficultés. Il faut malheureusement y ajouter la solution qu’il apporte dans l’espèce qui se présentait comme suit :

 

La société CHAURAY CONTROLE a mis en oeuvre une procédure de saisie immobilière à l’encontre de la SCI des Sauges, son débiteur ; en appel, l’arrêt du 27 janvier 2003 a prononcé la suspension des poursuites en application du dispositif de désendettement des rapatriés installés dans une profession non salariée ; la société CHAURAY CONTROLE a alors déposé un dire, le 10 juin 2004, tendant à être autorisée à reprendre les poursuites ;

La Cour d’appel a jugé que la décision prononçant la suspension des poursuites avait l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’il tranchait et que la société CHAURAY CONTROLE, n’était pas recevable, fût-ce sur le fondement d’une jurisprudence apparue postérieurement, à prétendre réouvrir les débats devant le même juge, sur la même contestation, entre les mêmes parties et sur leurs mêmes droits.

La Cour de cassation approuve pleinement cette position et rejette le pourvoi.

 

Le moyen de cassation soutenu par la société CHAURAY CONTROLE énonçait :

Alors que selon l’article 1351 du Code civil l’autorité de la chose jugée ne peut être opposée lorsque la demande est fondée sur une cause différente de celle qui a donné lieu au jugement ou lorsque des événements postérieurs sont venus modifier la situation antérieurement reconnue en justice ; que la constatation, par un arrêt de la Cour de cassation, de l’incompatibilité d’une loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, et notamment son article 6 § 1, constitue un événement qui modifie la situation antérieurement reconnue en justice sur le fondement de cette loi ; qu’en l’espèce, par un arrêt en date du 7 avril 2006 l’assemblée plénière de la Cour de cassation a jugé que les dispositions relatives au désendettement des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, résultant des articles 100 de la loi du 30 décembre 1997, 76 de la loi du 2 juillet 1998, 25 de la loi du 30 décembre 1998, 2 du décret du 4 juin 1999 et 77 de la loi du 17 janvier 2002, qui organisent, sans l’intervention d’un juge, une suspension automatique des poursuites, d’une durée indéterminée, portent atteinte, dans leur substance même, aux droits des créanciers, privés de tout recours, alors que le débiteur dispose de recours suspensifs devant les juridictions administratives ; qu’en opposant néanmoins à la demande de la société CHAURAY CONTROLE l’autorité de chose jugée d’un jugement du Tribunal de grande instance de Toulouse du 18 juillet 2002 et d’un arrêt confirmatif de la Cour d’appel du 27 janvier 2003, rendus sur le fondement de ces dispositions législatives et réglementaires devenues depuis lors inapplicables, la Cour d’appel de Toulouse a méconnu les dispositions susvisées.

 

Dans son commentaire de cet arrêt, sous le titre L’autorité de la chose jugée, gage de la sécurité juridique, M. Christian Paul-Loubière écrit « Par sa nouvelle jurisprudence marquant une évolution, un complément ou un revirement, le juge ne fait que révéler, sous un jour nouveau, l’état du droit qui préexistait » et admet également que le revirement « ne peut constituer le fait nouveau qui permettrait d’écarter l’autorité attachée à la décision antérieure » [2].

On constate avec regret dans un premier temps qu’ici la sécurité juridique est celle d’un débiteur de mauvaise foi. Ce n’est pas la première fois qu’un débiteur de mauvaise fois peut tirer parti des rigueurs de la loi. Les Juges manifestent parfois le regret qu’ils ont de devoir adopter une solution légalement imposée mais contraire à l’équité.

 

Dans l’instance ayant fait l’objet de l’arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2006, l’arrêt attaqué de la Cour d’appel de Montpellier rendu le 22 novembre 2004 relevait que « le principe d’accès à la justice, comprenant l’accès au juge pour rechercher la condamnation de son adversaire et l’obtention d’un titre exécutoire, résulte des prescriptions imposées par les dispositions de l’article 6 de la convention EDH relatives à la notion de procès équitable ; (...) que depuis l’arrêt X... du 21 février 1975, série A n° 187, le droit d’accès à un tribunal est inhérent à cette dernière notion ; que depuis l’arrêt Y... du 28 mai 1985, série A n° 93, si les Etats contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation, ces limitations d’une part ne sauraient restreindre l’accès au juge au point d’attenter à la substance même du droit, d’autre part doivent toujours être proportionnelles entre les moyens mis en oeuvre et le but visé ; que cette jurisprudence est constante » ;

La société CHAURAY CONTRÔLE aurait donc eu la possibilité d’invoquer en temps utile les décisions rendues par la CEDH en 1975 puis en 1985. Dans cette mesure, on peut admettre qu’elle a une part de responsabilité dans les inconvénients qui résultent pour elle de l’arrêt reproduit.

 

On peut alors constater dans un second temps que l’affirmation de M. Paul-Loubière présentant le revirement de jurisprudence comme la révélation par le Juge, « sous un jour nouveau, de l’état du droit qui préexistait » est bien l’effet d’une véritable maïeutique.  Le Juge est dans l’erreur. C’est à l’Avocat thérapeute qu’il revient de lui faire découvrir la vérité qu’il porte par une série de questions appropriées, conformément à la méthode socratique.

Nous n’irons pas jusqu’à prétendre qu’il faut ici s’appuyer sur la théorie de la réminiscence pour faire ressurgir des vies antérieures les connaissances oubliées. Pourtant la reconnaissance comme biens immobiliers ordinaires des volumes d’espace définis n’a bien été qu’une résurgence salutaire du droit antique de la propriété superficiaire. (Voir Les copropriétés en volumes 1-5-2)

 

On reste plus dubitatif en présence de l’affirmation formulée par la Cour de cassation : « la sécurité juridique ne saurait consacrer un droit acquis à une jurisprudence figée, l’évolution de la jurisprudence relevant de l’office du juge dans l’application du droit ». Les atteintes portées à l’équité par le mécanisme actuel des revirements ont justifié la création d’une Commission dont les conclusions pratiques se font attendre.

 

Il faut distinguer soigneusement les revirements des compléments et évolutions, qui peuvent être liés à une évolution des mœurs et des pratiques économiques et sociales.

 

 

Sur la question particulière du régime des rapatriés vous pouvez également consulter dans la Revue des procédures collectives, n° 2, mars-avril 2009, commentaire n° 48, p.40, la note de Mme Christine Lebel « Désendettement des rapatriés et atteinte aux droits des créanciers: application de la jurisprudence de la Cour de cassation ».

 

 

 

 

 

Mise à jour

14/06/2009

 

 

 

 

 



[1] Cass. civ. 1e 21/03/2000 RTDC 2000 p. 266 note Molfessis ; Dalloz 2000 jur. 592 note Atias

[2] Recueil Dalloz, n° 15, 16 avril 2009, Etudes et commentaires, p.1060-1061