Obligation de conseil du notaire

Preuve de l’exécution de l’obligation non rapportée

Responsabilité (oui)

 

 

Cassation civile 1e  19 décembre 2006                                                       Cassation partielle

Cour d’appel de Fort-de-France (chambre civile) 12-03-2004

N° de pourvoi : 04-14487

 

Note JPM : la question évoquée apparaît au niveau de l’examen du troisième moyen.

 

Donne acte à la Société financière Antilles Guyane (SOFIAG) de ce qu’elle vient aux droits de la SODEMA ;

 

Attendu que par acte dressé les 11 février et 22 mars 1994 par la SCP Teanor, Grangenois & Berguet Salomon, notaire, la Société de crédit pour le développement de la Martinique (la SODEMA) a consenti à la société MAV diffusion un prêt destiné à l’achat d’un fonds de commerce appartenant à M. X... qui, avec deux autres personnes, s’est porté caution de la société emprunteuse et a donné en garantie un immeuble dont il était propriétaire ; que la débitrice principale ayant été mise en liquidation judiciaire, la SODEMA a assigné M. X... en remboursement du prêt ; que celui-ci a appelé le notaire en garantie sur le fondement d’un manquement à son obligation de conseil ;

 

 

Sur le premier moyen, après avis de la chambre commerciale :

 

Attendu que M. X... reproche à l’arrêt attaqué d’avoir constaté qu’il avait expressément renoncé au principe d’inopposabilité à la caution de la déchéance du terme et de l’avoir condamné conjointement et solidairement avec ses cofidéjusseurs au paiement de la somme de 64 013,82 euros à la SODEMA, alors, selon le moyen, qu’il résulte des dispositions de la loi du 25 janvier 1985 en matière de redressement et de liquidation judiciaire aujourd’hui codifiée, et notamment de l’article L. 621-49 du code de commerce, que, nonobstant toute clause contraire devant être réputée non écrite, la déchéance du terme qui n’est pas encourue par le débiteur principal en redressement judiciaire ne peut, eu égard au caractère accessoire du cautionnement, être invoquée contre la caution pour une créance qui n’était pas échue à la date de cette mise en redressement judiciaire et qu’en outre, sauf stipulation contractuelle expresse en ce sens, la liquidation dudit débiteur n’entraîne pas non plus, ipso facto, déchéance du terme à l’égard de ladite caution ; qu’ainsi, en décidant du contraire en raison de l’existence d’une clause générale stipulant que la caution acceptait d’être coobligée comme l’emprunteur, débiteur principal, pour les conséquences de la déchéance du terme encourue par l’emprunteur, bien que ladite clause ne puisse être invoquée dans le cadre du redressement judiciaire de ce dernier et n’ait pas expressément prévu que sa liquidation entraînerait déchéance du terme vis-à-vis de la caution, la cour d’appel a violé les dispositions susmentionnées ;

 

Mais attendu qu’après avoir relevé que la société débitrice principale avait été mise en liquidation judiciaire le 25 mai 1999, l’arrêt retient que l’article 6 du titre 3 de l’acte notarié stipule que “ M. Barbe X... se constitue caution hypothécaire pour le remboursement de toutes sommes dues par l’emprunteur acceptant d’être obligé comme l’est l’emprunteur, débiteur principal, y compris s’il y a lieu par les conséquences de la déchéance du terme encourue par l’emprunteur “ ;

 

qu’ayant déduit de cette clause que M. X... avait renoncé au principe de l’inopposabilité de la déchéance du terme par une stipulation claire du contrat, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

 

 

Sur le deuxième moyen, après avis de la chambre commerciale :

 

Attendu que M. X... fait encore le même reproche à l’arrêt, alors, selon le moyen :

 

1 / qu’il résulte notamment des dispositions des articles 2015 et 2124 du code civil que le cautionnement réel, fourni par celui qui consent la constitution d’une hypothèque conventionnelle, pour garantir le remboursement de la dette d’un tiers, n’est pas un engagement personnel mais une sûreté réelle, en vertu de laquelle la caution ne peut être contrainte de payer la dette du débiteur et le créancier ne peut saisir que le seul bien affecté à la garantie de sa créance ; qu’en présence d’un tel cautionnement hypothécaire consenti par M. X..., les juges d’appel ne pouvaient condamner personnellement ce dernier à régler directement à la société SODEMA le solde de l’emprunt non remboursé par le débiteur cautionné correspondant à la somme de 64 013,82 euros, montant de la créance admise au passif dudit débiteur ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les dispositions susvisées ;

 

2 / qu’en présence d’une caution hypothécaire, le créancier qui entend mettre en oeuvre cette sûreté réelle doit justifier qu’il bénéficie encore d’une inscription régulière et non expirée sur le bien immobilier affecté au cautionnement ; qu’ainsi, la cour d’appel, en ne recherchant pas si tel était bien le cas en l’espèce, a entaché sa décision d’un défaut de base légale au regard notamment des articles 2015 et 2124 du code civil ;

 

Mais attendu, d’une part, que l’arrêt retient que M. X... s’est engagé expressément dans l’acte à garantir le remboursement du prêt souscrit par la société MAV diffusion auprès de la SODEMA ;

qu’ainsi, ayant déduit des stipulations contractuelles que M. X... avait souscrit un engagement personnel, la cour d’appel a légalement justifié sa décision ; que, d’autre part, la cour d’appel n’était pas tenue d’effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée ; d’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

 

 

Mais, sur le troisième moyen :

 

Vu l’article 1382 du code civil ;

 

Attendu que pour exonérer la SCP Teanor, Grangenois & Berguet Salomon de sa responsabilité, l’arrêt retient que la preuve d’une faute n’était pas rapportée, que le fait d’être à la fois vendeur du fonds de commerce et caution de l’acquéreur ne saurait résulter d’une faute commise par le notaire alors que ce montage juridique, certes peu fréquent, avait pour finalité de permettre à la société MAV diffusion d’obtenir le financement nécessaire à l’acquisition du fonds de commerce et que la clarté des clauses et des conditions insérées dans les actes ainsi que leur connexité démontraient que M. X..., lui-même commerçant aguerri, était parfaitement conscient du risque qu’il prenait et avait accepté le préjudice qui pouvait en résulter, l’économie même de l’acte litigieux permettant au vendeur de mesurer le sens et la portée de son engagement ;

 

Attendu, cependant, que les notaires sont tenus d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; qu’en écartant la garantie de la SCP Teanor, Grangenois & Berguet Salomon, sans constater que ce notaire, à qui incombait la preuve de l’exécution de son obligation de conseil, avait, indépendamment de l’expérience professionnelle de M. X..., précisément attiré l’attention de celui-ci sur la portée et les conséquences de son engagement souscrit dans le cadre d’un montage juridique qui accroissait le risque d’être privé du prix de vente de son fonds de commerce, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a dit que la SCP Teanor, Grangenois & Berguet Salomon n’avait pas commis de faute engageant sa responsabilité et, en conséquence, l’a mise hors de cause, l’arrêt rendu le 12 mars 2004, entre les parties, par la cour d’appel de Fort-de-France ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Fort-de-France, autrement composée ;

 

Condamne la SCP Teanor, Grangenois & Berguet Salomon aux dépens ;

 

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande de la SODEMA, devenue SOFIAG ;

 

commentaires

 

Cet arrêt, rendu à propos de la responsabilité notariale, a une portée générale. La solution est applicable à tous les professionnels tenus à l’obligation de conseil. Elle concerne particulièrement les syndics de copropriété.

L’arrêt rappelle d’abord le contenu de l’obligation de conseil pour ce qui est des notaires : ils «  sont tenus d’éclairer les parties et d’appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée et les effets ainsi que sur les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ».

On peut comparer cette formule à celle que l’on trouve, pour un syndic, dans un arrêt récent [1]  de la Cour d’appel de Paris. L’assemblée générale avait autorisé l’exploitation dans un lot commercial d’une activité de restauration au mépris d’une clause du règlement de copropriété. La Cour d’appel a relevé que le syndic était à même « de se convaincre, à l’examen des clauses du règlement de copropriété sur la destination de l’immeuble du caractère douteux, discutable, de la conformité de la nouvelle activité de la société au document contractuel précité. Tenu d’un devoir de conseil il lui appartenait d’informer l’assemblée de cette difficulté créant un risque réel d’annulation d’une décision autorisant l’activité de restauration rapide, ce dont il s’est abstenu. »

 

L’obligation de conseil s’étend à toutes les personnes concernées. Le notaire est tenu « d’éclairer les parties », et pas seulement son client. Le syndic est tenu d’informer l’assemblée, y compris le copropriétaire demandeur, susceptible d’être en opposition avec le syndicat. Pour autant, un agent immobilier n’est pas tenu de mettre en valeur les défauts et inconvénients manifestement apparents du bien qu’il vend.

 

L’enseignement particulier de l’arrêt relaté est qu’il ne suffit pas au professionnel d’exécuter son obligation de conseil. Il lui faut conserver la preuve de cette exécution.

Cette obligation de conservation de la preuve paraît évidente et les notaires ont la pratique habituelle de faire signer aux parties une « reconnaissance d’information » et mieux encore une « décharge de responsabilité ».

La conservation de la preuve est moins aisée pour les syndics. Bien qu’assurant habituellement le secrétariat de l’assemblée, ils n’ont pas vraiment la maîtrise du procès-verbal et il est fréquent de voir le président s’opposer à la mention dans le procès-verbal des observations du syndic ou des réserves techniques d’un architecte. Le statut ne mentionne à cet égard que les réserves d’un opposant relatives à la régularité des décisions.

L’exécution de l’obligation de conseil est réalisée, avant même l’assemblée, à l’occasion de la concertation avec le conseil syndical au sujet de la question à inscrire à l’ordre du jour. Le syndic peut alors suggérer au conseil syndical de solliciter l’avis extérieur d’un avocat ou d’un autre spécialiste. Cet avis, qui doit être joint à la convocation, ne dispense pas le syndic d’y joindre le sien s’il estime que le consultant n’a pas décelé un piège.

De toute manière, la prudence commande aux syndics d’exécuter leur obligation de conseil par le moyen d’une note jointe à la convocation. On ne peut alors leur reprocher de s’être abstenus.

 

On peut remarquer en outre que la Cour de cassation a statué, sur ce point, au visa de l’article 1382 du Code civil (responsabilité délictuelle).

 

 

 

 

 

Mise à jour

27/01/2007

 

 

 



[1] CA Paris 19e 22/09/2004 Loyers et copropriété mars 2005 n° 58 et n° 59