CA Paris 19e chambre 22 septembre 2004

Syndicat immeuble Rond Point Mirabeau  c/ L…

Loyers et copropriété Mars 2005 n° 58 et 59

 

L’arrêt rendu par la 19e chambre de la Cour d’appel de Paris le 22 septembre 2004 nous présente un cas pratique inhabituel.

Le règlement de copropriété d’un immeuble interdit les activités commerciales susceptibles de gêner les habitants de l’immeuble en occasionnant des odeurs.

L’assemblée générale a été saisie d’une demande d’autorisation pour l’installation par une société locataire d’un restaurant rapide avec friteuse et rôtissoire. Elle a répondu favorablement à la demande formulée, après avoir pris connaissance du rapport de l’architecte de la copropriété mentionnant notamment l’installation d’un extracteur de fumée permettant, selon les termes de l’arrêt, de réduire au maximum[1] la propagation d’odeurs éventuelles, et non à la rendre impossible.

Le voisin supérieur demande l’annulation de la décision de l’assemblée en se fondant sur la rédaction de la clause du règlement de copropriété faisant référence aux « activités commerciales susceptibles de gêner… ». Selon le demandeur, le terme « susceptibles » devait conduire l’assemblée à écarter a priori la demande présentée. Il établit, après ouverture du restaurant rapide, que son lot est affecté par des odeurs de cuisine. C’est un premier aspect original de l’affaire puisqu’il est généralement jugé que les effets d’une clause relative aux gênes d’une activité commerciale ne peuvent être appréciés qu’après constatation d’une gêne effective.

Une seconde originalité est que la société locataire demande que soit retenue la responsabilité du syndicat des copropriétaires pour le cas où l’autorisation serait annulée. Le syndicat aurait commis alors une faute en donnant une autorisation alors qu’il devait savoir être dans l’impossibilité juridique de la donner !

Une troisième enfin est que la responsabilité du syndic lui-même est mise en cause pour n’avoir pas éclairé correctement les copropriétaires. En vertu de son obligation de conseil, il aurait dû indiquer qu’ils ne devaient pas voter en faveur de l’autorisation compte tenu de la rédaction de la clause.

 

La Cour juge que l’autorisation a été donnée en contravention avec les dispositions du règlement de copropriété.

Elle juge qu’en donnant l’autorisation le syndicat a causé préjudice à la société locataire  en la conduisant à engager de bonne foi des frais de transformation des locaux et d’achat de matériel qu’elle ne pourra plus amortir par les recettes générées par l’activité de restauration rapide qu’elle doit cesser.

Elle juge enfin que le syndic était à même « de se convaincre, à l’examen des clauses du règlement de copropriété sur la destination de l’immeuble du caractère douteux, discutable, de la conformité de la nouvelle activité de la société au document contractuel précité. Tenu d’un devoir de conseil il lui appartenait d’informer l’assemblée de cette difficulté créant un risque réel d’annulation d’une décision autorisant l’activité de restauration rapide, ce dont il s’est abstenu. »

 

Il est certain qu’en interdisant les activités commerciales susceptibles de gêner les habitants de l’immeuble en occasionnant des odeurs, le règlement de copropriété permet et même commande d’écarter a priori tout projet comportant ce risque. C’est une lecture conforme à l’esprit de la clause (prévention des troubles à la bonne jouissance) comme à sa lettre, même si, en l’espèce, l’utilisation du terme « susceptible » est malheureuse.

L’emploi de « susceptible de » au sens de « pouvant » relève du parler commun et ne peut être suivi, dans ce cas, que d’une forme passive. En l’espèce la forme est active (susceptible de gêner). Mais on ne peut pas se méprendre sur l’intention du rédacteur de la clause.

Il suffisait donc de constater que la présence d’une friteuse et d’une rôtissoire comporte intrinsèquement un risque de diffusion d’odeurs gênantes pour conseiller à la société demanderesse de ne pas persévérer.

Pourtant la Cour semble prendre en considération la possibilité technique d’éviter ce risque. Elle retient finalement à charge du syndicat de s’être contenté d’une simple réduction du risque et d’avoir admis « contre la lettre et l’esprit de l’article 2 [du règlement de copropriété] que la nouvelle activité qu’elle autorisait puisse causer des nuisances résiduelles aux habitants de l’immeuble. C’est cette résignation qui est fautive.

 

On constate alors que c’est l’objectivité de l’étude technique qui est la source des malheurs du syndicat. L’arrêt reconnaît que «  le syndic s’est montré diligent dans l’instruction technique du projet de la société qu’il a soumis pour étude et avis à l’architecte de la copropriété ». Les études de ce genre sont souvent sommaires. Elles mentionnent péremptoirement que les installations proposées apporteront calme et confort au voisinage. Les juges valident alors des décisions d’autorisation. Parfois même ils annulent un refus d’autorisation, en faisant remarquer qu’est ainsi sauvegardée une liberté primordiale : celle du commerce. Il faut alors attendre les premières gênes pour demander que soit ordonnée la cessation d’activité.

 

La tâche du syndic n’est guère aisée dans ce genre de situation. S’il prend l’initiative de décourager un candidat locataire, c’est le propriétaire du lot, tout heureux d’avoir trouvé un bon preneur, qui va lui reprocher de donner un avis non sollicité ! La position du syndic est plus difficile encore lorsqu’il contribue personnellement à l’instruction technique par le truchement de collaborateurs qualifiés. On peut faire la même observation au sujet d’un avis juridique éventuel s’il est établi par un autre collaborateur tout aussi qualifié.

 

Que dire enfin de l’indemnisation accordée à la société locataire ? L’arrêt ne fait pas mention du copropriétaire bailleur. C’est lui qui a demandé l’inscription de la demande d’autorisation à l’ordre du jour de l’assemblée. Ne devait-il pas, de son côté, vérifier sa conformité aux dispositions du règlement de copropriété, veiller à l’établissement de l’étude technique et s’assurer de la totale efficacité de l’installation d’extraction des fumées ?

La société locataire n’avait-elle pas les mêmes obligations, dès lors qu’elle ne pouvait ignorer l’opposabilité à son égard des dispositions du règlement ?

Si l’on peut admettre une maladresse du syndic, il semble qu’un partage de responsabilité  aurait été équitable dans de telles circonstances. On veut espérer que la couverture vraisemblable du dommage par l’assurance de responsabilité civile professionnelle du syndic n’a pas conduit les juges à lui imputer la totalité des torts.

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

18/07/2005

 

 



[1] Nous aurions écrit réduire au minimum.