L’obligation aux dettes sociales de l’associé d’une société civile : nécessité de vaines poursuites préalables contre la société.

 

 

L’arrêt rendu le 20 novembre 2001 par la Chambre commerciale de la Cour de cassation (reproduit ci-dessous) rappelle sévèrement aux créanciers d’une société civile les conditions requises pour leur permettre un recouvrement à l’encontre des associés.

Aux termes de l’art. 1858 du Code civil  « les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu’après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ».

Elles doivent être connues des syndics de copropriété souvent confrontés aux difficultés d’une procédure de recouvrement des charges contre une société civile classique ou contre les associés d’une société civile d’attribution.

 

Nous sommes ici en présence d’une société civile immobilière dont le compte courant était devenu débiteur. La banque obtint la condamnation de la société au paiement de la dette. Elle fit procéder à l’inscription d’une hypothèque sur un terrain appartenant à la société, mais en second rang seulement. La banque ayant peu d’espoir d’obtenir le recouvrement effectif de sa créance par la vente du bien hypothéqué, assigna l’un des associés en paiement au prorata de ses intérêts dans le capital de la société.

 

On négligera ici la demande reconventionnelle de l’associé défendeur invoquant des fautes de la banque à l’occasion de l’ouverture puis de la tenue de celui-ci.

Mais il lui reprochait en outre de ne pas avoir exercé préalablement à sa mise en cause de vaines poursuites contre la personne morale.

 

Sur ce dernier point, il a obtenu une décision favorable de la Cour de cassation qui a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait rejeté sa demande par un arrêt du 22 janvier 1999.

La Cour d’appel avait retenu que la banque avait obtenu un jugement condamnant la société civile, puis inscrit une hypothèque de second rang sur un bien de la société et jugé que l’existence d’une inscription de premier rang permettait à la banque d’augurer la vanité d’autres poursuites, la valeur du terrain devant être absorbée par la créance prioritaire

La Cour de cassation a jugé que ces craintes ne suffisaient pas à répondre à l’exigence de vaines poursuites préalables contre la société civile, permettant l’exercice à titre subsidiaire de poursuites contre l’un des associés.

Il ne suffit pas au créancier de se prévaloir de craintes légitimes. Il doit rapporter la preuve formelle de l’impossibilité d’obtenir paiement par la société civile. Cette preuve imposait une procédure d’exécution sur le terrain hypothéqué, faisant apparaître l’insuffisance du produit de la vente pour le paiement de la créance. Cette décision confirme les observations de J. Julien (Observations sur l’évolution jurisprudentielle du sort des associés dans la société civile, RTD comm. 2001, p. 841  n° 7 et 8).

 

S’agissant du recouvrement de charges de copropriété impayées, la situation se présente différemment selon que le syndic est confronté à une société civile classique ou à un associé d’une société d’attribution constructrice de l’immeuble et dont la liquidation avec partage et attribution  des lots n’a pas été achevée.

Dans le premier cas il est nécessaire, comme dans le cas de tout copropriétaire débiteur, de poursuivre la vente du lot de copropriété appartenant à la société. Cette menace peut amener les associés à payer mais on doit rappeler que l’introduction d’une instance directe contre eux peut se heurter aux difficultés que nous venons d’évoquer. On sait bien que c’est pourtant la pratique habituelle.

Dans le second cas, la pratique fréquente est d’adresser directement aux associés les comptes de charges comme s’ils étaient déjà copropriétaires. A défaut de paiement, il est courant d’assigner l’associé débiteur sans qu’aucune procédure n’ait été engagée préalablement contre la société. Ces errements se poursuivent d’autant plus que, dans de nombreux cas, l’associé finit par payer en cours d’instance.

Lorsque la procédure de recouvrement est menée régulièrement, contre une société d’attribution léthargique et parfois dépourvue de représentant légal, on ne peut négliger les difficultés du recouvrement et les risques qu’il fait courir aux autres associés.

 

Texte de l’arrêt :

 

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, dans la perspective d'une opération de construction qu'il envisageait de réaliser, M. Dos Santos Mota a constitué avec M. Sequeira Roque la société civile immobilière du 124, rue Vaillant-Couturier à Alfortville (la SCI), dont le capital de 1.000 francs était réparti par moitié entre les deux associés et dont il a été nommé gérant ; que le compte qu'il avait fait ouvrir, au nom de cette SCI, auprès de la société Caixa geral de depositos et qu'il faisait fonctionner, étant devenu débiteur, l'établissement de crédit a obtenu la condamnation de sa cliente à lui payer sa créance et fait inscrire une hypothèque de second rang sur un terrain appartenant à celle-ci ; qu'estimant cependant ne rien pouvoir espérer de la réalisation de ce bien, elle a fait assigner M. Sequeira Roque, en sa qualité d'associé, pour qu'il soit condamné à supporter la moitié du montant de cette condamnation ; que ce dernier a reconventionnellement fait valoir que la société Caixa geral de depositos avait engagé sa responsabilité pour les conditions dans lesquelles elle avait ouvert le compte puis toléré le découvert et soutenu que celle-ci ne justifiait pas avoir exercé préalablement à sa mise en cause de vaines poursuites contre la personne morale ;

 

Sur le premier moyen, pris en ses deux branches :

 

Attendu que M. Sequeira Roque fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté sa demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen :

 

1° qu'il faisait valoir qu'une banque a l'obligation, avant d'ouvrir un compte courant, de procéder à des vérifications préalables, et qu'et: l'espèce, la banque n'avait pas recueilli d'informations suffisantes.sur la société avant de consentir l'ouverture du compte litigieux, et avait ainsi failli à son devoir de vigilance ; que la cour d'appel qui a pourtant constaté que l'adresse du siège.social de la SCI était fictive, n'a pas recherché si la banque n'avait pas engagé sa responsabilité en acceptant d'ouvrir un compte à la SCI sans avoir procédé à un minimum de recherches, en particulier sur la réalité de son siège social ; que ce faisant, elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

 

2° qu'il faisait valoir que la banque avait manqué à ses obligations de surveillance et de conseil en n'interrompant pas son concours avant que le solde débiteur du compte de la SCI n'atteigne le montant de 133.000 francs, dès lors qu'elle savait que le capital de la SCI ne s'élevait qu'à 1.000 francs et qu'elle pouvait constater qu'aucune opération de crédit n'intervenait sur le compte ; qu'en se bornant à rechercher si la banque devait ou non s'immiscer dans la gestion de son client, sans rechercher si elle n'avait pas engagé sa responsabilité en maintenant, dans les conditions susdites, une ouverture de crédit, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil ;

 

Mais attendu, d'une part, que l'arrêt relève que le compte ouvert au nom de la société civile, mentionnait son numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ainsi que les références de la carte d'identité produite par le gérant ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations dont il se déduisait que la société Caixa geral de depositos avait effectué les diligences habituelles et nécessaires, la cour d'appel a décidé à bon droit qu'elle n'avait pas commis de faute en ouvrant dans les conditions où elle l'avait fait le compte de la SCI à la demande de son représentant légal ;

 

Et attendu, d'autre part, que la cour d'appel relève encore que M. Sequeira Roque n'a pas contesté l'existence et le caractère sérieux du projet immobilier auquel il apportait notamment le bénéfice d'un permis de construire et d'une étude d'architecture, et ajoute que les mouvements enregistrés sur le compte étaient modestes ; qu'en l'état de ces éléments dont il ressortait d'abord, qu'eu égard à la nature de l'opération qu'il s'agissait de financer, l'existence d'un découvert, n'était pas à elle seule un motif d'alerte pour la société Caixa geral de depositos et qu'en l'absence de tout élément lui donnant connaissance d'agissements irréguliers et de toute anomalie apparente dans le mode de fonctionnement du compte, celle-ci n'avait commis aucune faute en s'abstenant de toute vérification de son fonctionnement, ensuite qu'il ne pouvait lui être reproché d'avoir apporté à la SCI un concours dont rien ne démontrait qu'il ait été hors de proportion avec les perspectives de rentabilité de l'opération, si elle avait été menée à bien, la décision se trouve justifiée ;

 

Que le moyen n'est fondé en aucune de ses deux branches ;

 

Mais sur le deuxième moyen :

 

Vu l'article 1858 du Code civil ;

 

Attendu qu'aux termes de ce texte, les créanciers ne peuvent poursuivre le paiement des dettes sociales contre un associé qu'après avoir préalablement et vainement poursuivi la personne morale ;

 

Attendu que pour déclarer la société Caixa geral de depositos recevable à agir contre M. Sequeira Roque, associé de la SCI, en paiement, à proportion de ses droits sociaux, d'une dette sociale, l'arrêt retient qu'elle a obtenu un jugement condamnant la SCI, inscrit sur ses biens une hypothèque de second rang, et qu'elle produit une correspondance d'un notaire faisant apparaître l'existence d'une inscription d'un autre créancier en premier rang sur les même biens ;

 

Attendu qu'en statuant ainsi, par des motifs impropres à établir que les poursuites diligentées préalablement contre la SCI étaient, du fait de l'insuffisance du patrimoine social, privées de toute efficacité, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 janvier 1999, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

 

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

13/07/2005