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Qu’est devenue la Série centrale des prix
de l’Académie d’architecture ?

 

 

 

Une série de prix est un barème détaillé par types d’ouvrages et de prestations établi par une administration ou une organisation professionnelle.

Etablie par une administration, elle est un outil d’information pour les services chargés des achats.

Etablie par une organisation professionnelle, elle jour le même rôle pour les membres de l’organisation.

 

La série centrale des prix de l’Académie d’architecture remplissait ce rôle pour les maîtres d’œuvre et les entreprises du bâtiment et des travaux publics. Le maître d’œuvre établissait un descriptif. Les entreprises consultées étaient invitées à établir un devis « à la série » et faire connaître le taux d’abattement qu’elles étaient disposées à consentir sur le coût global « au prix de la série ».

Le mécanisme présentait l’avantage d’obliger les entreprises à répondre dans le cadre strict du descriptif, ce qui est un facteur prépondérant de transparence souvent oublié de nos jours.

Ayant vaillamment surmonté les débordements de mai 1968, la série centrale des prix de l’Académie d’architecture est tombée sous le couperet de la divine Concurrence.

Nous reproduisons ci dessous :

 

La décision du Conseil de la concurrence du 02/02/1999 

Elle fait apparaître une instruction sérieuse de l’affaire et une étude approfondie des argumentations présentées mais aussi les sources d’inspiration de la Commission ! Il était manifestement mal venu de considérer comme une « entente » frauduleuse la mise à jour d’un document d’information séculaire (première publication en 1883) par un collège d’architectes alors « qu’une entente ou une action concertée doit émaner d’entreprises ou plus largement « d’opérateurs économiques », avec pour objet une atteinte à la libre concurrence.

 

L’arrêt de la 1e Chambre de la Cour d’appel de Paris du  08/02/2000 ;

La Cour juge « que la qualité d’association de l’Académie ou de celle d’architecte ne participant pas à la rédaction à titre professionnel est insuffisante pour écarter l’applicabilité des règles du droit de la concurrence et de l’article 7 en particulier, dès lors que les travaux de l’Académie au travers la série centrale des prix, réalisés par les professionnels du secteur du bâtiment, sont susceptibles d’affecter l’activité économique des travaux dans le milieu du bâtiment ; »

Elle retient en outre « qu’un marché concurrentiel est un marché sur lequel les entreprises doivent déterminer le prix de leur prestation de manière individuelle, en fonction de leurs propres coûts, que la série centrale des prix donne des valeurs de référence de prestation constituées de plusieurs éléments de coûts de revient estimés à partir de valeurs moyennes qui ne peuvent être qualifiées de mercuriales ; »

Or l’expérience a montré que les entreprises soumissionnaires, tant pour les marchés publics que pour ceux privés, apportaient des corrections sensibles aux estimations de la série en fonction de facteurs qui leur étaient propres, notamment en matière de productivité. Leur intérêt bien compris était de minorer les estimations de la série sans risquer d’affecter la qualité des prestations.

Il ne pouvait donc y avoir entente ou concert frauduleux qu’en présence d’un accord entre plusieurs soumissionnaires visant à organiser la désignation de l’un d’entre eux.

 

Une sanction pécuniaire de 30 000 F a été infligée à l’Académie !

 

 

Décision no 99-D-08 du Conseil de la concurrence en date du 2 février 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Académie d’architecture dans le secteur du bâtiment et des travaux publics

 

 

Le Conseil de la concurrence (commission permanente),

Vu la lettre enregistrée le 3 juin 1998 sous le numéro F 1052, par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvre par l’Académie d’architecture ;

Vu l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence et le décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié pris pour son application ;

Vu les observations présentées par le commissaire du Gouvernement et l’Académie d’architecture ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, le rapporteur général suppléant, le commissaire du Gouvernement et le représentant de l’Académie d’architecture entendus ;

Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et les motifs (II) ci-après exposés :

I  CONSTATATIONS

A  L’Académie d’architecture  et la série centrale des prix

L’Académie d’architecture est une association régie par la loi de 1901, à but non lucratif, reconnue d’utilité publique, autonome juridiquement et financièrement. L’Académie n’intervient pas dans la défense des intérêts de la profession d’architecte et elle s’est donné une vocation culturelle en développant des activités en vue de l’amélioration du milieu de vie et de la qualité des prestations de la construction.

Dès 1883, l’Académie d’architecture a édité un volume intitulé « La Série centrale des valeurs de référence des travaux du bâtiment » ou « Série centrale des prix » qui, depuis l’origine, a donné lieu à l’élaboration et à la diffusion de trente-cinq éditions. La dernière a été refondue, éditée et diffusée au début de l’année 1998.

Chaque série centrale des prix a été élaborée par un comité de rédaction composé de membres permanents de l’Académie, assistés de professionnels du bâtiment et des travaux publics tels que des représentants des maîtres d’ouvrages publics et privés, des techniciens du bâtiment et des entreprises, des économistes de la construction (métreurs), des enseignants, des architectes.

La composition du comité de rédaction est modifiée lors de chaque mise en œuvre d’une nouvelle série : ainsi, l’élaboration de l’avant-dernière série centrale des prix, édition 1990, qui fait l’objet du présent examen, a été conduite par un comité de rédaction comprenant dix architectes.

B  Modalités d’établissement  de la valeur de la référence

La série centrale des prix éditée en 1990 se présente sous forme de cinq tomes qui distinguent les travaux selon leur nature (gros œuvre, bois et métal, finitions, etc.) et les corps d’état concernés par la réalisation des travaux.

L’unité usuelle de la série est l’article, élément essentiel de l’utilisation de l’ouvrage : il est le support de la valeur de référence et/ou le support technique d’information. La valeur de référence affectée à l’article correspond au prix unitaire d’une prestation défini par rapport à une unité qui peut être, selon le type de travaux, le mètre cube, le mètre carré, le mètre linéaire, la pièce.

La série centrale des prix donne, en lecture directe, le chiffrage de 40 000 prix unitaires, en valeur absolue, correspondant au coût des prestations techniques nécessaires à la réalisation de travaux ou d’ouvrages.

Chaque prix unitaire est constitué de plusieurs éléments de coût de revient estimés à partir de valeurs moyennes forfaitaires : déboursé de main-d’œuvre, déboursé de fournitures ou de matériaux et frais divers intégrant les frais de chantier, les frais généraux et la marge globale forfaitaire.

Les déboursés de main-d’œuvre résultent de l’affectation au coût horaire de base d’un multiplicateur prenant en compte les charges salariales et les temps improductifs et d’un « quantitatif », c’est-à-dire le nombre d’heures affecté à la tâche à exécuter. De même, les déboursés de fournitures ou de matériaux résultent de l’addition de leur prix d’achat, des frais de transport et de manutention. Le total de ces déboursés est ensuite affecté d’un « multiplicateur d’entreprise », qui prend en compte les frais de chantier, les frais généraux et une marge globale forfaitaire de 3,68 %, pour obtenir la « valeur de référence ».

Le coût horaire de main-d’œuvre est déterminé sur la base des conventions collectives « réajustées par rapport au marché du travail », le multiplicateur de main-d’œuvre relatif aux charges salariales et aux temps improductifs est défini à partir des renseignements recueillis auprès du Moniteur du bâtiment et des travaux publics. Le quantitatif de main-d’œuvre est fixé par un spécialiste de chaque corps de métier et le prix des fournitures est la moyenne pondérée des tarifs des fournisseurs. La part des frais divers a été établie sur la base d’une enquête datant de dix ans, en cours d’actualisation.

 

L’Académie d’architecture ne justifie pas les modalités d’établissement de la valeur de référence. Ainsi, elle se limite à indiquer les sources d’information sur lesquelles elle s’appuie. Les prix sont reconstitués au moyen de formules dont des paramètres sont définis en fonction de l’expérience et qui n’intègrent pas des facteurs de productivité.

Quant aux frais de chantiers et aux frais généraux, ils résultent d’estimations de frais. Il en est de même de la marge globale bénéficiaire fixée à 3,68 % pour laquelle l’Académie ne fournit pas de méthode de calcul.

La mise à jour de la série centrale des prix a lieu selon une périodicité assez faible, d’environ cinq à dix ans, en raison du nombre élevé de données à recueillir. Pour rendre l’ouvrage opérationnel, une actualisation mensuelle de ces données est réalisée au moyen d’un barème de coefficients. Les valeurs de référence font également l’objet d’une adaptation régionalisée pour tenir compte des particularités propres aux régions, les bases d’élaboration de la série centrale des prix reposant sur les conditions économiques de la région Ile-de-France.

Les coefficients d’actualisation et de régionalisation donnés par le barème des coefficients s’appliquent aux prix unitaires de la série sans nécessité d’un calcul préalable.

La codification lettrée par corps d’état permet de trouver des coefficients en lecture directe. L’actualisation porte sur l’ensemble des valeurs relevant de la même codification. Ainsi, par exemple, l’actualisation du prix unitaire par mètre cube de la pose de briques apparentes (fourniture et façon comprises) à la date du mois de mai 1997, en région Rhône-Alpes, consiste à rapporter au prix de la série de 1990 le coefficient figurant à la ligne MABR de la région en cause.

 

VALEUR DE RÉFÉRENCE

de la série

1990

COEFFICIENT

d’actualisation et

de régionalisation

PRIX UNITAIRE

actualisé

2 916 F au m3

1,211

3 531 F au m3

 

Le coefficient de 1,211 est le résultat de « l’adaptation aux variations économiques » du coût horaire de base de la main-d’œuvre, du « multiplicateur main-d’œuvre », du coût des matériaux, des frais de transport, de manutentions et du « multiplicateur entreprise ».

Une grille de référence fournit, par corps d’état, les coefficients multiplicateurs d’entreprise et de main-d’œuvre qui ont servi à l’établissement des coefficients d’actualisation de la série et du barème. Le « multiplicateur entreprise » peut, en outre, être appliqué isolément afin de déterminer le prix unitaire des fournitures ou des matériaux qui ne sont pas référencés dans la série.

Le barème des coefficients fait, par ailleurs, état de coefficients de « déplacement » et de « quanta de main-d’œuvre » qui n’interviennent pas dans l’établissement des prix unitaires de la série. Le premier permet de calculer l’indemnisation des petits déplacements. Il s’applique à l’indemnité journalière globale de transport (trajet et repas) correspondant à la région ou au département considéré, fournie par le barème. Le second sert à valoriser des travaux effectués en dehors des heures et des jours normalement travaillés et des travaux soumis à des sujétions spéciales de main-d’œuvre et d’exécution. Ces deux coefficients s’appliquent au seul taux horaire par jour ouvrable déterminé pour chaque métier d’un corps d’état.

Enfin, le préambule de la série précise que « les valeurs de référence doivent être considérées comme une base de valeurs moyennes pouvant être minorées ou majorées » suivant les contraintes externes et internes aux entreprises, notamment :

   « la situation et les difficultés propres à chaque chantier, son approvisionnement et les manutentions qui en découlent ;

   la quantité mise en œuvre, la répétitivité des tâches ou des ouvrages ;

   les moyens, la capacité de chaque entreprise ;

   la situation et l’état du patrimoine dans le cas de “marché à commande” ;

   le mode et les délais de paiement ».

Le rabais ou la majoration consentis par les entreprises en fonction de leurs capacités financières et techniques achèvent le processus d’établissement du prix unitaire d’une prestation.

C  Principes d’utilisation de la série

Les principes d’utilisation de la série centrale des prix sont énoncés dans les prescriptions générales et communes de l’ouvrage. Celles-ci précisent que la série concerne principalement les travaux en vue d’un règlement au métré. Elles délimitent le périmètre de la relation contractuelle entre le maître d’ouvrage et l’entreprise et prévoient le versement d’indemnités qui, même si elles relèvent de l’usage, sont présentées comme des droits au bénéfice de l’entreprise.

Certaines dispositions, mentionnées à plusieurs reprises, déterminent les situations dans lesquelles les prix des prestations doivent donner lieu à majoration ou à rabais ou ne doivent pas être modifiés.

Enfin, les modalités de facturation et de règlement préconisent l’application d’un multiplicateur de règlement dans deux cas, l’un concernant les travaux à la lumière artificielle (multiplicateur de règlement de 1,422, TVA en sus), l’autre concernant les réparations d’appareillage ou les travaux spéciaux (coefficient multiplicateur de 1,25 %, TVA en sus).

D  Les logiciels informatiques

L’Académie d’architecture propose également une suite de trois logiciels informatiques, Attou, Banks et Cythère, conçus avec des professionnels du bâtiment. Ces logiciels, qui intègrent les bases des données de la série centrale des prix, atténuent la rigidité du support papier au niveau de la manipulation et des études de prix car ils disposent de fonctions utilitaires facilitant les mises à jour et sont ouverts sur les bases de données extérieures et les banques de données propres à chaque entreprise.

E  La diffusion

L’Académie d’architecture fait connaître la série centrale des prix par des procédés publicitaires classiques et envisage de diffuser plus largement l’édition 1998 en s’orientant vers des dépôts d’ouvrages en librairies.

Les utilisateurs de la série centrale des prix, selon la typologie des 1 126 abonnés actuels au barème des coefficients, sont prioritairement les maîtres d’ouvrage publics (17 % des abonnements) et les petites et moyennes entreprises (68 % des abonnements).

F  Application de la série dans le cadre de marchés publics et privés

L’instruction a examiné, à titre d’exemples, trois marchés dans lesquels la série centrale des prix a été utilisée. Le premier, conclu en 1996 par un établissement de l’Assistance publique - hôpitaux publics (AP-HP), le groupe hospitalier de La Pitié - La Salpêtrière, concerne l’exécution de travaux d’entretien et d’amélioration courante ; le deuxième a été conclu en 1996 par l’Etat (ministère de la culture) pour le rafraîchissement des parties sud du palais de l’Elysée ; le dernier porte sur le marché type de la société d’économie mixte SONACOTRA et est relatif à l’exécution des travaux nécessaires à la construction, à la réhabilitation ou à l’amélioration des bâtiments à usage d’habitation.

Dans les trois cas, il s’agit de marchés fractionnés à bons de commandes : les prix des prestations du premier marché sont des prix unitaires appliqués aux quantités réellement livrées ou exécutées, les prix des prestations des deux autres sont des prix forfaitaires et globaux. Ces marchés publics sont régis par les dispositions des articles 273 et 275 et suivants du code des marchés publics et par l’instruction d’application no 2010, édition 1991, de la Commission centrale des marchés. L’instruction recommande, à la section 4 « caractéristiques des prix », la fixation d’un prix forfaitaire pour toutes les prestations qui peuvent être définies au moment du contrat. Elle n’exclut pas les prix établis par rapport à des documents étrangers au marché :

« De nombreux marchés de fournitures ou de travaux courants comportent des prix déterminés par référence à des documents étrangers au marché :

«prix fixés par voie réglementaire ;

«barèmes ;

«tarifs ;

«catalogues ;

«mercuriales ;

«séries ;

«bordereaux.

Le marché stipule alors les abattements, rabais ou plus rarement majorations fermes - en valeur absolue ou en pourcentage - à appliquer aux prix de référence ainsi que toutes précisions nécessaires pour définir sans ambiguïté les prix de référence choisis et préciser, en particulier, les publications où ces prix peuvent être trouvés.

Pour les collectivités locales et leurs établissements publics, le code des marchés publics ne fixe aucune règle relative aux prix. »

Le cahier des charges des clauses particulières (CCAP) du groupement hospitalier limite l’application de la série à certains lots. Le CCAP du ministère de la culture et le CCAP type de la SONACOTRA prévoient l’usage de la série en cas d’ultime recours lorsque les prix des prestations ne peuvent pas être définis par d’autres procédés. Les CCAP se réfèrent, en outre, à la série dans la détermination des prix lorsque la réalisation de l’ouvrage nécessite de faire appel à des fournitures « hors série ». Le montant des marchés concernés par la série, sur lesquels l’instruction a porté, s’élève à 197 716 044 F (TTC).

S’agissant de l’établissement de l’AP-HP, qui applique les références des prix unitaires de la série centrale des prix aux lots « maçonnerie », « menuiserie » et « carrelages-sols souples », celui-ci a retenu les offres des soumissionnaires les moins-disants consentant des rabais respectifs de - 31,20 %, - 33 % et - 31 %.

Le CCAP du ministère de la culture impose des rabais de 30 % et de 35 % sur l’ensemble des huit corps d’état et le CCAP type de la SONACOTRA prévoit, quant à lui, une minoration de 25 % sur les prix de tous les corps d’état, à l’exception des prix du lot « peinture », affectés d’un rabais de 40 %, et des prix du lot « électricité », appliqués sans modification.

Dans le cadre de ces marchés, il ressort que des rabais sur les prix unitaires de la série centrale des prix sont systématiquement appliqués. A cet égard, une entreprise titulaire du lot « maçonnerie » du marché du groupe hospitalier de La Pitié - La Salpêtrière considère les prix unitaires de la série supérieurs aux prix du marché ce qui justifie, pour elle, les rabais appliqués aux prix unitaires de la série.

II  SUR LA BASE DES CONSTATATIONS QUI PRÉCÈDENT, LE CONSEIL,

Sur la procédure :

Considérant que l’Académie d’architecture fait valoir, d’une part, que les droits de la défense n’ont pas été respectés, dès lors que la convocation devant le Conseil lui est parvenue avant le dépôt de ses observations effectué le 11 janvier 1999 ; qu’elle prétend, d’autre part, que la procédure comporte un vice de forme dans la mesure où les parties concernées par les pratiques dans la notification de griefs, maîtres d’ouvrage et entreprises soumissionnaires, n’ont pas été convoquées devant le Conseil ;

Mais considérant, en premier lieu, que l’article 21 du décret no 86-1309 du 29 décembre 1986 modifié, pris pour l’application de l’ordonnance no 86-1243 du 1er décembre 1986 modifiée relative à la liberté des prix et de la concurrence, dispose que : « Lorsque le président du Conseil de la concurrence, en application de l’article 22 de l’ordonnance, décide que l’affaire sera portée devant la commission permanente sans établissement préalable d’un rapport, les parties disposent d’un délai de deux mois à compter de la notification de cette décision pour présenter leurs observations sur les griefs communiqués » ; que la notification de griefs a été adressée le 9 novembre 1998 à l’Académie d’architecture et que celle-ci a disposé d’un délai de deux mois à compter de la notification de cette décision pour présenter ses observations ; qu’ainsi, elle a été en mesure d’assurer sa défense devant le Conseil ;

Considérant que l’article 22 du décret précité précise que : « Les convocations aux séances du Conseil sont adressées trois semaines au moins avant le jour de la séance. Les notifications et convocations font l’objet d’envois recommandés avec demande d’avis de réception » ; que la convocation destinée à l’Académie d’architecture lui a été adressée le 8 janvier 1999, soit trois semaines avant la date de la séance fixée au 2 février 1999 ; que, par suite, il a été fait, dans le respect des droits de la défense, une stricte application des délais prévus par les textes ;

 

Considérant, en second lieu, qu’aucune disposition législative ou réglementaire n’impose au Conseil d’entendre l’ensemble des parties concernées par les pratiques ; qu’en l’espèce, les maîtres d’ouvrage et les entreprises soumissionnaires ne sont que des utilisateurs de la série incriminée ; qu’il ne peut donc être retenu que la procédure est entachée d’irrégularité ; que, dès lors, ces moyens doivent être écartés ;

Sur les pratiques constatées :

Considérant que l’Académie d’architecture fait valoir qu’association régie par la loi de 1901, elle constitue une « société savante » qui ne défend pas, en premier lieu, des intérêts catégoriels ; que l’élaboration de la série centrale des prix ne relève pas d’une action concertée dans la mesure où l’élaboration des descriptifs et aspects techniques des ouvrages reviendrait plus particulièrement aux membres architectes titulaires et honoraires et que le suivi et l’élaboration des données économiques reviendraient au service des économistes de l’Académie ; que l’Académie a justement veillé à ce que participent aux comités de rédaction des séries 1990 et 1998 des architectes honoraires et des architectes-conseils de maîtres d’ouvrage publics ;

Mais considérant que la série centrale des prix, dans ses versions 1990 et 1998, a été élaborée par des comités de rédaction, organisés à cet effet, regroupant des architectes et d’autres professionnels du secteur ; que les conditions d’élaboration de la série qui permettent de distinguer, d’une part, les membres permanents de l’Académie, architectes titulaires et honoraires qui suivent la conception de l’ouvrage et, d’autre part, les comités de rédaction composés, pour les éditions 1990 et 1998, uniquement d’architectes ne modifient pas la qualification donnée aux réunions ainsi organisées dès lors que les architectes rassemblés dans les comités de rédaction sont des professionnels de la construction qui interviennent en qualité de prescripteurs ; que le fait que l’Académie ne soit pas un groupement professionnel chargé de défendre les intérêts d’une profession est sans incidence sur la nature de la concertation entre les intéressés ;

Considérant que l’Académie d’architecture soutient, en deuxième lieu, que les valeurs de référence de la série centrale des prix sont des valeurs purement théoriques destinées à aider les professionnels pour leur permettre de calculer leurs propres prix ; qu’à cet égard, les professionnels peuvent déterminer leurs prix en fonction de leurs contraintes spécifiques, qu’elles soient de gestion, techniques ou financières, notamment au moyen du rabais ou de la majoration qu’il leur est loisible d’appliquer à la valeur de référence ;

Mais considérant que la série centrale des prix donne, pour les différents corps de métier concernés, 40 000 valeurs de référence de prestations constituées de plusieurs éléments de coût de revient estimés à partir de valeurs moyennes, à savoir les déboursés de main-d’œuvre, qui comportent un coût horaire de main-d’œuvre déterminé sur la base des conventions collectives «réajustées par rapport au marché du travail », les déboursés de fournitures ou de matériaux, établis à partir de la moyenne pondérée des tarifs des fournisseurs, les frais divers intégrant les frais de chantier, les frais généraux et la marge globale forfaitaire uniformément fixée à 3,68 % définis sur la base d’une enquête datant de dix ans ; que les éléments constitutifs comportent des coefficients fixés à partir de valeurs moyennes forfaitaires, comme un multiplicateur de main-d’œuvre relatif aux charges salariales et aux temps improductifs calculé à partir des renseignements recueillis dans le Moniteur du bâtiment et des travaux publics, un quantitatif de main-d’œuvre établi par un spécialiste de chaque corps de métier de l’Académie, qui fixe le temps nécessaire à la réalisation d’une tâche, un multiplicateur d’entreprise calculé par cumul des frais divers affecté aux déboursés de main-d’œuvre et aux déboursés de fournitures ou de matériaux ; que le barème mensuel des coefficients présente des coefficients d’actualisation économique et de régionalisation pour prendre en compte les particularités régionales, calculés selon des procédés similaires ;

Considérant, par ailleurs, que si le document en cause contient des éléments d’information qui peuvent, par leur qualité technique, améliorer les prestations de la construction, il comporte des « valeurs moyennes » telles que le coût de main-d’œuvre et le coût des fournitures ou des matériaux qui ne résultent pas de constatations objectives pouvant être vérifiées ; que le quantitatif de main-d’œuvre ne tient pas compte des facteurs de productivité ; que les prix seraient reconstitués au moyen de formules dont certains paramètres sont définis en fonction de « l’expérience » ; que les frais de chantiers et les frais généraux sont le résultat de « moyennes » ; que le montant de la marge globale bénéficiaire, fixé à 3,68 %, est présenté par l’Académie comme étant le niveau de taux à appliquer pour qu’une entreprise soit viable et saine ; que ce taux n’est justifié par aucune méthode de calcul ; qu’en outre, l’Académie d’architecture n’a pas été en mesure de fournir des explications sur les méthodes d’établissement de la valeur de référence qui représente le prix unitaire en francs du coût final d’une prestation technique ; que, cependant, l’application de rabais importants ou, dans certains cas, de majoration démontre le caractère artificiel du concept même de la valeur de référence ; que, dès lors, la valeur de référence ne peut ni refléter la diversité des situations propres à chacun des métiers concernés par la série ni les particularités propres à chaque entreprise selon sa taille et sa localisation ;

Considérant, encore, que, si le Conseil admet que l’établissement d’une mercuriale n’est pas contraire aux règles du droit de la concurrence dès lors qu’un tel document se borne à publier des prix constatés pendant une période passée déterminée et établis par des méthodes scientifiques, la série centrale des prix ne peut en aucun cas, compte tenu de ses modalités d’élaboration, être qualifiée de mercuriale ;

Considérant que l’Académie d’architecture avance, en troisième lieu, que la série centrale des prix est un outil de travail performant et complet utilisé tant par les maîtres d’ouvrage publics et privés que par les petites ou moyennes entreprises ; que la série centrale des prix ne peut, en raison de sa qualité technique et de sa simplicité d’utilisation, que rendre plus aisé l’accès aux marchés publics des petites et moyennes entreprises, qui représentent 68 % des abonnés au barème des coefficients ; que l’usage de la série centrale des prix n’implique pas l’obligation de faire appel à un métreur vérificateur ; que l’instruction no 2010 de la Commission centrale des marchés éditée en 1991 autorise expressément les maîtres d’ouvrage publics à utiliser des documents étrangers aux marchés, comme les séries de prix ; que la série centrale des prix est utilisée dans les expertises judiciaires et par l’administration fiscale ;

Mais considérant, en premier lieu, que les prix unitaires des prestations de la série centrale des prix sont reconnus supérieurs aux prix du marché par les professionnels ; que ce fait est connu des maîtres d’ouvrage publics et privés et explique que les cahiers des charges des clauses particulières de certains marchés faisant référence à la série centrale des prix prévoient des rabais sur les prix unitaires des prestations variant de 25 % à 40 % ; qu’en second lieu, en dépit des précautions prises par leurs auteurs, les prescriptions générales et communes de la série centrale des prix présentent un caractère directif, en ce qu’elles incitent à retenir les prix qu’elle présente notamment pour les soumissions de marchés de travaux ; qu’elles délimitent les relations contractuelles entre le maître d’ouvrage et l’entreprise ; que, de surcroît, la série centrale des prix constitue pour certains maîtres d’ouvrage publics et privés une référence essentielle pour fixer les prix des prestations prévues aux marchés ; que la série centrale des prix qui se réfère aux règles de l’art pour la réalisation des travaux immobiliers, et notamment des travaux de restauration, tend à définir des normes et non à décrire une réalité ; qu’ainsi la série centrale des prix est de nature à inciter chaque entreprise utilisatrice à se détourner d’une appréhension directe de ses propres coûts, pour fixer individuellement ses prix ; que le fait qu’une instruction de la Commission centrale des marchés autorise l’utilisation des séries de prix dans les marchés est sans portée sur la qualification de la série au regard du droit de la concurrence ; qu’à cet égard, un avis de la Commission de la concurrence rendu en 1982 repris, dans ses dispositions essentielles, au rapport d’activité de la même année, rappelle que : « Il existe en effet, au plan national, une quinzaine de séries de prix d’origine privée ou publique dont la plus connue est la série centrale de l’Académie d’architecture. Au plan local on en dénombre plusieurs centaines, élaborées le plus souvent par des instances professionnelles. Ce vaste réseau de données relatives aux prix du bâtiment est largement utilisé. De nombreux marchés publics s’y réfèrent directement (les marchés sur séries de prix). Par ailleurs les entreprises, même artisanales, disposent généralement de deux ou trois “listes de prix” et s’y réfèrent pour établir leurs devis ou factures correspondant à des travaux privés ou publics. L’informatisation de certaines séries de prix et la facilité d’accès à ces données pour un nombre croissant d’architectes ou d’entreprises du bâtiment sont de nature à renforcer cette utilisation. Or les séries de prix engendrent des inconvénients de même nature que ceux maintes fois dénoncés par la Commission technique des ententes et des positions dominantes puis par la Commission de la concurrence à l’égard des barèmes professionnels. En effet, “les prix figurant dans ces documents sont des prix théoriques, souvent surévalués et ayant trait à des prestations qui doivent être effectuées dans les meilleures règles de l’art. Ils ne correspondent pas nécessairement aux caratéristiques des travaux effectués par une entreprise donnée. Or dans la pratique, l’adaptation de ces documents aux particularités de l’entreprise et du marché n’est ni générale ni suffisante. Il en résulte des surcoûts non négligeables, de l’ordre de 20 à 30 % pour les marchés publics sur série malgré l’existence de rabais appliqués aux prix de référence de la série. Il est fréquent que celle-ci soit utilisée sans rabais dans les marchés privés. En outre, ces documents préétablis n’incitent pas les entreprises qui les utilisent à calculer leurs propres prix de revient, contrairement d’ailleurs aux dispositions des arrêtés du 31 mai 1960 et du 6 décembre 1968 qui font obligation aux entrepreneurs du bâtiment de porter à la connaissance des particuliers les principaux éléments du coût des travaux. De même, l’utilisation abusive des marchés publics sur séries de prix limite trop souvent la concurrrence” ; » que l’usage de la série centrale des prix dans le cadre des expertises judiciaires et par l’administration fiscale ne saurait la soustraire aux critiques formulées ;

Considérant que l’Académie d’architecture fait, enfin, valoir que les logiciels informatiques Attou, Banks et Cythère, qu’elle propose également, offrent des facilités de manipulation, de modulation, d’adaptation et d’analyse des coûts pour les entreprises et singulièrement pour les PME ; que les entreprises peuvent entrer dans ces logiciels leurs données propres sur toutes les variables de la série ainsi que les descriptifs les plus précis des ouvrages et qu’elles disposent ainsi d’un outil performant pour optimiser leur gestion et la compétitivité de leurs prestations par la connaissance la plus fine de leurs coûts et prix de revient ;

Mais considérant que les logiciels informatiques conçus par l’Académie avec des professionnels du bâtiment reproduisent les données de la série centrale des prix ; que leur efficacité dépend étroitement de la possession de la ou des séries centrales des prix auxquels ils se rapportent ; que les prix unitaires fournis par ces logiciels sont calculés selon les mêmes méthodes que ceux de la série centrale éditée sur papier ; qu’ainsi la transposition de la série centrale des prix dans des logiciels informatiques ne modifie en rien son caractère au regard du droit de la concurrence ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ce qui précède que l’élaboration et la diffusion par l’Académie d’architecture de la série centrale des prix constituent une pratique qui a pour objet et a eu pour effet de restreindre la concurrence en détournant les entreprises de la détermination de leurs propres coûts de revient et en favorisant la hausse artificielle des prix ; que ces pratiques sont prohibées au sens de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l’application du 1 de l’article 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 :

Considérant que « Ne sont pas soumises aux dispositions des articles 7 et 8 les pratiques :

1.  Qui résultent de l’application d’un texte législatif ou d’un texte réglementaire pris pour son application ; »

Considérant que l’Académie d’architecture soutient que le fait d’avoir été reconnue association d’utilité publique par décret du 15 mai 1953 pris en conseil des ministres après avis du conseil d’Etat lui ferait obligation légale de publier la série centrale des prix ; qu’elle se réfère, à cet égard, aux articles 36 et 37 de ses statuts, approuvés par un arrêté ministériel du 22 novembre 1984, joints à ses observations ;

Mais considérant que l’élément de preuve produit par l’Académie d’architecture consiste en un document photocopié des articles 1er à 19 des statuts directement suivis des articles 11 à 44 du règlement intérieur, qui sont présentés abusivement comme une suite d’articles relevant des dispositions statutaires ; que les articles 36 et 37 mentionnés par l’Académie sont ceux du règlement intérieur, et non des statuts, lequel n’est pas soumis à l’approbation d’un arrêté ministériel ; que la série centrale des prix en tant que telle n’est pas mentionnée aux statuts ; que l’Académie d’architecture ne peut donc soutenir que les dispositions de ses statuts confèrent à la publication de la série centrale des prix le caractère d’une obligation légale ou réglementaire ; que les dispositions du 1 de l’article 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 sont sans application en l’espèce ;

Sur les sanctions :

Considérant qu’aux termes de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 : « Le Conseil de la concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé ou imposer des conditions particulières. Il peut infliger une sanction pécuniaire applicable soit immédiatement, soit en cas d’inexécution des injonctions. Les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie et à la situation de l’entreprise ou de l’organisme sanctionné. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction. Le montant maximum de la sanction est, pour une entreprise, de 5 % du montant du chiffre d’affaires hors taxes en France au cours du dernier exercice clos. Si le contrevenant n’est pas une entreprise, le montant est de 10 MF. Le Conseil de la concurrence peut ordonner la publication de sa décision dans les journaux ou publications qu’il désigne, l’affichage dans les lieux qu’il indique et l’insertion de sa décision dans le rapport établi sur les opérations de l’exercice par les gérants, le conseil d’administration ou le directoire de l’entreprise. Les frais sont supportés par la personne intéressée » ; qu’en application de l’article 22, alinéa 2, de la même ordonnance « la commission permanente peut prononcer les mesures prévues à l’article 13, les sanctions infligées ne pouvant, toutefois, excéder 500 000 F pour chacun des auteurs des pratiques » ;

Considérant que l’appréciation de la gravité des faits doit tenir compte de la notoriété et de l’autorité de l’Académie d’architecture qui confèrent à ses actions un caractère exemplaire et de l’ancienneté de la série centrale des prix ; que la pratique avait été dénoncée par la Commission de la concurrence dans un avis de 1982 ; que l’Académie ne pouvait donc ignorer que l’élaboration et la diffusion de la série centrale des prix constituaient une pratique anticoncurrentielle ;

Considérant que, pour apprécier le dommage à l’économie, il y a lieu de tenir compte du fait que la série centrale des prix est utilisée par de nombreuses entreprises et des maîtres d’ouvrages notamment publics ;

Considérant qu’en ce qui concerne les facultés contributives de l’Académie d’architecture celle-ci a disposé en 1997, dernier exercice clos disponible, d’un montant de ressources de 4 736 650 F ; que le résultat net déficitaire enregistré s’élève à 993 218 F cette même année ; que les recettes tirées de la vente de la série centrale des prix ont fortement diminué ; que, compte tenu des éléments généraux et individuels ainsi appréciés, il y lieu d’infliger à l’Académie d’architecture une sanction pécuniaire de 30 000 F,

Décide :

Art.  1er Il est établi que l’Académie d’architecture a enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986.

Art.  2 Il est infligé à l’Académie d’architecture une sanction pécuniaire de 30 000 F.

Art.  3 Il est enjoint à l’Académie d’architecture de ne plus diffuser de série de prix comportant des valeurs de référence intégrant des valeurs moyennes et des coefficients forfaitaires relatifs aux coûts de main-d’œuvre, de fournitures ou de matériaux, aux frais de chantiers et frais généraux, ainsi qu’une marge globale bénéficiaire dont le pourcentage est prédéterminé.

Délibéré, sur le rapport de Mme Bergaentzlé, par Mme Halgesteen, présidente, Mme Pasturel, vice-présidente, MM. Cortesse et Jenny, vice-présidents.

 

 

 

 

 

 

Arrêt de la cour d’appel de Paris (1re chambre, section H) en date du 8 février 2000 relatif au recours formé par l’Académie d’architecture contre une décision no 99-D-08 du Conseil de la concurrence en date du 2 février 1999 relative à des pratiques mises en œuvre par l’Académie d’architecture dans le secteur du bâtiment et des travaux publics (1)

NOR :  ECOC0000062X

Demanderesse au recours :

Association l’Académie d’architecture, prise en la personne de ses représentants légaux, ayant son siège 9, place des Vosges, 75004 Paris, assistée de Me Percerou (Jean-Christian), toque M 1886, avocat au barreau de Paris.

En présence du ministre de l’économie, des finances et l’indusrie, représenté aux débats par Mme Bibet, munie d’un mandat régulier.

Composition de la cour lors des débats et du délibéré :

Mme Pinot, président ;

Mme Bregeon, conseiller ;

M. Somny, conseiller.

Greffier :

Lors des débats et du délibéré : Mme de Peindray ;

Lors du prononcé de l’arrêt : Mme Besse.

Ministère public : M. Woirhaye, substitut général.

Arrêt prononcé publiquement le 8 février 2000, par Mme Pinot, président, qui en a signé la minute avec Mme Besse, greffier.

Après avoir, à l’audience publique du 2 décembre 1999, entendu le conseil des parties, les observations du ministre chargé de l’économie et du ministère public, la requérante ayant eu la parole en dernier ;

Vu les mémoires, pièces et documents déposés au greffe à l’appui du recours ;

Le 3 juin 1998, le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques mises en œuvres par l’Académie d’architecture, dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

Par décision no 99-D-08 en date du 2 février 1999, le Conseil de la concurrence a établi que l’Académie d’architecture avait enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et lui a, d’une part, infligé une sanction pécuniaire de 30 000 F et, d’autre part, enjoint de ne plus diffuser de série de prix comportant des valeurs de références intégrant des valeurs moyennes et des coefficients forfaitaires relatifs aux coûts de main-d’œuvre, de fournitures ou de matériaux, aux frais de chantier et aux frais généraux, ainsi qu’une marge globale bénéficiaire dont le pourcentage est prédéterminé.

 

L’Académie d’architecture a formé un recours en annulation, et en réformation contre cette décision le 23 avril 1999, ainsi qu’une demande de sursis à l’exécution de la décision, en application de l’article 15 de l’ordonnance du 1er décembre 1986. Par ordonnance du 1er juin 1999, le premier président de la cour d’appel de Paris a décidé qu’il sera sursis à l’exécution de l’injonction aux termes de laquelle le Conseil de la concurrence avait enjoint à l’Académie d’architecture de ne plus diffuser de série de prix, jusqu’à ce que la cour d’appel de Paris ait statué sur le recours formé contre cette décision.

Vu le mémoire déposé le 31 mai 1989 par lequel l’Académie d’architecture (ci-après l’Académie) demande à la cour de :

-  prononcer l’annulation de la décision du Conseil de la concurrence et de renvoyer la procédure à l’instruction du Conseil ;

-  dire qu’il n’est aucune pratique d’entente anticoncurrentielle mise en œuvre par l’Académie d’architecture relevant des dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

-  dire qu’à supposer fondées les pratiques anticoncurrentielles visées dans la notification des griefs, celles-ci sont justifiées par la cause d’exonération prévue par l’article 10 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

-  réformer dans ces conditions en toutes ses dispositions la décision du Conseil de la concurrence, en disant n’y avoir lieu à condamnation à l’encontre de la réquérante.

Vu les observations déposées le 28 juin 1999, par lesquelles le ministre chargé de l’économie demande à la cour de confirmer la décision critiquée ;

Vu les observations écrites déposées le 28 juin 1999 par le Conseil de la concurrence (le Conseil) ;

Vu le « mémoire complémentaire » de l’Académie d’architecture en date du 3 septembre 1999 ;

Le ministère public ayant été entendu à l’audience du 30 septembre 1999 en ses observations tendant à l’application des dispositions de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 après annulation de la décision déférée ;

Vu l’arrêt en date du 7 octobre 1999, par lequel la Cour a ordonné la réouverture des débats afin de permettre aux parties de s’expliquer sur, d’une part, l’étendue des pouvoirs de la cour dans l’hypothèse d’une annulation de la décision en raison de la participation du rapporteur et du rapporteur général suppléant au délibéré du Conseil et, d’autre part, sur la recevabilité des moyens nouveaux contenus dans le « mémoire complémentaire » de la requérante en date du 3 septembre 1999 ;

Vu les observations déposées le 27 octobre 1999 par le ministre chargé de l’économie, d’une part, et celles déposées en date du 28 octobre 1999 par le Conseil, d’autre part ;

Vu le « mémoire complémentaire » de l’Académie du 25 novembre 1999 ;

Vu les observations orales du ministère public tendant à l’annulation de la décision du Conseil, et qui demande à la cour de statuer sur les pratiques reprochées, de dire que l’Académie a enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, et de faire application à son encontre des dispositions de l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur ce, la cour :

Sur la procédure

Sur le renvoi de la procédure devant la commission permanente du Conseil de la concurrence :

Considérant qu’aux termes de l’article 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le président du Conseil de la concurrence peut, après la notification des griefs aux parties intéressées, décider que l’affaire sera portée devant la commission permanente du Conseil sans établissement d’un rapport préalable ;

Considérant que l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 octroie aux parties un délai de deux mois à compter de la notification pour présenter des observations ;

Considérant que l’Académie soutient que le président du Conseil a commis une irrégularité en renvoyant la procédure devant la commission permanente, simultanément à l’envoi de la notification des griefs, sans attendre les observations des parties en réponse à la notification des griefs ;

Considérant que l’article 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 et l’article 21 de cette même ordonnance autorisent le président du Conseil à porter l’affaire devant la commission permanente après la notification des griefs et que le délai de deux mois laissés aux parties pour présenter leurs observations ne s’applique qu’à la notification des griefs et non à la décision du président de renvoyer l’affaire devant la commission permanente ; que l’article 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 est respecté dès lors que cette dernière décision du président n’a pas été prise avant la notification des griefs et que les parties ont bénéficié du délai légal pour présenter leurs observations ;

Qu’il s’ensuit que le moyen ne peut être accueilli.

 

Sur le refus opposé par le Conseil de la concurrence au renvoi de la procédure pour complément d’information et extension de la notification des griefs aux nouvelles parties intéressées :

 

Considérant qu’aux termes de l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, le Conseil notifie les griefs aux intéressés ainsi qu’au commissaire du gouvernement, que les personnes intéressées sont outre les parties saisissantes, les parties à qui sont présumées imputables les pratiques incriminées ;

Considérant que l’Académie prétend que les maîtres d’ouvrage et les entreprises ayant eu recours pour la passation de leurs marchés aux documents de la série centrale des prix, auraient dû être parties à la procédure et dans ces conditions, mises à même de s’expliquer sur la réalisation de l’ouvrage en cause et que le Conseil a rejeté cette demande en méconnaissance de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du principe de l’égalité des armes, de sorte que cette décision doit être annulée ;

Considérant, d’une part, que ce moyen présenté sous l’angle de l’article 6-1 de la Convention et des droits fondamentaux de la défense ne peut être qualifié de nouveau moyen, dès lors qu’il était déjà contenu dans le mémoire initial, lequel invoquait la violation de l’une des garanties fondamentales des droits de la défense, d’autre part, au fond, que les maîtres d’ouvrage ou les utilisateurs de la série de prix n’ont ni la qualité de partie saisissante ni celle de présumée auteur de pratique anticoncurrentielle, que ces dernières ne peuvent dès lors être qualifiées de parties intéressées au sens de l’article 21 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu’ainsi, il ne peut être reproché au Conseil d’avoir rejeté la demande de complément d’instruction et d’extension des griefs à ces entreprises ;

Que ce moyen de nullité doit en conséquence être rejeté.

 

Sur la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré et sur l’étendue des pouvoirs de la cour dans l’hypothèse d’une annulation :

 

Considérant que dans l’exercice de ses pouvoirs de sanction, le Conseil de la concurrence est tenu au respect des dispositions de l’article 6-1 de la Convention ainsi que l’a soulevé le ministère public à l’audience du 30 septembre 1999 ;

Considérant que l’exigence de la règle du contradictoire est rappelée par l’article 18 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant que la présence au délibéré du rapporteur chargé de l’instruction et de la notification des griefs et de celle du rapporteur général, dont la mission est d’animer et de contrôler l’activité des rapporteurs, a permis à ces derniers de s’exprimer sur l’affaire devant le Conseil, en l’absence des parties, de prendre des positions sur lesquelles celles-ci n’ont pas été en mesure de répondre ;

Qu’une telle situation est contraire à l’article 6-1 de la Convention ;

Que prise dans des conditions irrégulières, la décision doit en conséquence être annulée ;

Considérant que l’Académie ne reconnaît pas le pouvoir de la cour de statuer sur l’affaire après l’avoir annulée, et demande que celle-ci soit renvoyée devant le Conseil afin qu’il reprenne intégralement la procédure à compter de sa saisine par le ministre de l’économie ;

Considérant que la cour qui est, aux termes de l’article 15, alinéa 1, de l’ordonnance du 1er décembre 1986, saisie d’un recours de pleine juridiction, a le pouvoir de se prononcer après avoir annulé la décision du Conseil, sur les pratiques dont celui-ci était saisi conformément à l’article 13 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Qu’il s’ensuit que la cour n’a pas à renvoyer l’affaire devant le Conseil de la concurrence ;

 

Sur le fond

Sur la recevabilité des moyens au fond du « mémoire complémentaire » du 3 septembre 1999 :

Considérant qu’aux termes de l’article 2, alinéa 3, du décret du 19 octobre 1987, la déclaration de recours, prévue au premier alinéa de l’article 15 de l’ordonnance doit contenir l’exposé des moyens invoqués et doit être déposée au greffe dans les deux mois de la notification de la décision du Conseil, que passé ce délai de deux mois, tout nouveau moyen doit être déclaré irrecevable ;

Considérant que dans son premier mémoire déposé dans les deux mois de la notification de la décision du Conseil, l’Académie critiquait, d’une part, la qualification d’entente retenue par le Conseil, aux motifs qu’une entente ou une action concertée doit émaner d’entreprises ou plus largement « d’opérateurs économiques » alors que « l’Académie » est « une association loi 1901 (...). Une société savante à but uniquement philanthropique » et, d’autre part, invoquait l’absence d’effet anticoncurrentiel ;

 

Considérant que dans son « mémoire complémentaire » du 3 septembre 1999, déposé après l’expiration du délai de deux mois, l’Académie a, d’une part, soulevé le moyen tiré de l’absence de concertation des architectes-prescripteurs au sein de l’Académie pour l’élaboration de la série de prix et, d’autre part, contesté l’analyse faite par le Conseil sur la méthode d’élaboration de la série des prix en premier lieu, l’utilisation des logiciels en deuxième lieu, et enfin l’utilisation de la série des prix dans trois marchés examinés par le rapporteur à titre d’exemple ;

Considérant que les moyens exposés par l’Académie dans ce dernier mémoire s’analyse en des moyens nouveaux, comme tels irrecevables ;

Sur la qualification d’entente :

Considérant que le comité de rédaction de la série centrale de prix de l’Académie réunit des architectes, que c’est la nature économique de l’activité affectée et non la qualité de l’opérateur ou la forme selon laquelle il intervient qui détermine l’application des règles de concurrence ;

Considérant que l’Académie fait valoir qu’elle n’a pas la qualité d’opérateur économique, que les architectes rédacteurs de la série centrale de prix et les membres de l’Académie s’interdisent qu’il soit examiné ou débattu de quelques aspects que ce soit de leurs intérêts professionnels particuliers ;

Considérant qu’elle soutient encore qu’au travers de ses comités de rédaction de la centrale des prix, elle n’a pas formé une entente prohibée par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Mais considérant que la qualité d’association de l’Académie ou de celle d’architecte ne participant pas à la rédaction à titre professionnel est insuffisante pour écarter l’applicabilité des règles du droit de la concurrence et de l’article 7 en particulier, dès lors que les travaux de l’Académie au travers la série centrale des prix, réalisés par les professionnels du secteur du bâtiment, sont susceptibles d’affecter l’activité économique des travaux dans le milieu du bâtiment ;

Sur la restriction de concurrence :

Considérant qu’aux termes de l’article 7, une entente n’est prohibée que si elle a pour objet ou peut avoir pour effet de restreindre la concurrence sur le marché ;

Considérant que l’Académie soutient que n’est pas démontré l’effet anticoncurrentiel résultant de la publication de la série centrale des prix, pour s’être contenté d’affirmer que de telles pratiques détournent les entreprises de la détermination de leurs propres coûts de revient et facilitent la hausse artificielle des prix ;

Mais considérant qu’un marché concurrentiel est un marché sur lequel les entreprises doivent déterminer le prix de leur prestation de manière individuelle, en fonction de leurs propres coûts, que la série centrale des prix donne des valeurs de référence de prestation constituées de plusieurs éléments de coûts de revient estimés à partir de valeurs moyennes qui ne peuvent être qualifiées de mercuriales ;

Considérant qu’en raison de la notoriété et de la simplicité d’utilisation de l’ouvrage, celui-ci est utilisé tant par les maîtres d’ouvrage publics et privés que par les petites et moyennes entreprises, que les prix unitaires des prestations de la série des prix sont reconnus supérieurs aux prix du marché par les professionnels, que sa rédaction tend à inciter chaque entreprise utilisatrice à se détourner d’une appréciation directe de ses propres coûts pour fixer ses prix ;

Que par suite, la publication de la série centrale des prix doit être qualifiée de pratique anticoncurrentielle ayant eu pour objet et pour effet de restreindre la concurrence en incitant les entreprises à déterminer leurs prix en suivant la série centrale des prix et en les empêchant par cela même de calculer individuellement leurs coûts de revient et leurs prix ;

Que cette pratique est prohibée par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Sur l’application de l’article 10, alinéa 2 :

Considérant qu’aux termes de l’article 10, alinéa 2, de l’ordonnance du 1er décembre 1986, une pratique anticoncurrentielle au sens de l’article 7 de l’ordonnance bénéficie de l’exemption si les auteurs peuvent justifier que la pratique en cause a pour effet d’assurer le progrès économique, et réserve aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans donner aux intéressés la possibilité d’éliminer la concurrence pour une partie substantielle des produits en cause ;

Considérant que l’Académie prétend que la série de prix apporte aux opérateurs du marché de la construction une information globale, objective et exhaustive sur la valorisation de plus de 40 000 prestations unitaires de construction données, et selon une méthodologie à la fois plus claire et accessible à tous, qu’elle joue un rôle utile en faveur de la transparence du marché, face à la complexité et à la technicité des travaux de construction et de réfection et qu’elle justifie d’un progrès économique pour le moins proportionnel aux effets anticoncurrentiels purement théoriques ;

 

Mais considérant sans méconnaître l’intérêt documentaire de la série centrale des prix, qu’il reste que l’utilisation faite des données relatives aux prix, c’est-à-dire les valeurs de référence moyenne qui la composent, permet aux intéressés, en les empêchant de déterminer individuellement leurs coûts de revient et leurs prix, d’éliminer la concurrence ;

Qu’il s’ensuit que ce moyen doit être rejeté ;

Sur les sanctions :

Considérant qu’aux termes des articles 13 et 22 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 le Conseil peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé et peut infliger une sanction pécuniaire proportionnée à la gravité des faits reprochés, à l’importance du dommage causé à l’économie et à la situation de l’entreprise, que ces sanctions pécuniaires sont déterminées individuellement pour chaque entreprise et qu’elles ne peuvent excéder 500 000 F dans le cadre de la procédure simplifiée ;

Considérant que la série centrale des prix, anticoncurrentielle en l’état actuel de sa présentation, nécessite d’être modifiée et ne plus contenir de valeurs forfaitaires et moyennes ;

Considérant la notoriété de l’ouvrage et la durée de la pratique, d’une part, mais prenant en compte le but philanthropique de l’association, le montant de ses ressources et les résultats dégagés, d’autre part, il convient d’infliger à l’Académie une sanction pécuniaire de 30 000 F et de lui enjoindre de modifier la rédaction de la série centrale des prix qui ne devra plus contenir que les éditions ultérieures de valeurs de référence intégrant des valeurs moyennes et des coefficients forfaitaires relatifs aux différents coûts ou des marges bénéficiaires dont le pourcentage est prédéterminé.

 

Par ces motifs :

Annule la décision no 99-D-08 du 2 février 1999 du Conseil de la concurrence,

Statuant sur les pratiques reprochées :

Dit que l’Académie d’architecture a enfreint les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Enjoint à l’Académie d’architecture de modifier la rédaction de l’ouvrage de la série centrale des prix en ce qu’elle ne devra plus contenir de valeurs de référence intégrant des valeurs moyennes et des coefficients forfaitaires relatifs aux différents coûts ou à la marge bénéficiaire dont le pourcentage est prédéterminé ;

Inflige une sanction pécuniaire de 30 000 F à l’Académie d’architecture ;

Condamne la requérante aux dépens.

 

(1)  Décision no 99-D-08 en date du 2 février 1999 (BOCCRF no 11 du 22 juin 1999).

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

 

15/01/2009