COUR DU QUÉBEC  Chambre civile  15/02/2005

 

 

droits de jouissance exclusifs dans les parties communes à usage restreint

charges des réparations majeures des parties communes à usage restreint

charges des dépenses mineures de réparation et les coûts d'entretien

priorité de l’art. 1064 CcQ sur les clauses de la Déclaration de copropriété

 

Le droit français de la copropriété connaît :

·        Les parties communes à certains copropriétaires seulement, qui sont la propriété indivise des propriétaires des seuls lots énumérés

·        Les parties communes affectées d’un droit de jouissance exclusif. Elles peuvent être indivises aussi bien entre tous les copropriétaires qu’entre certains seulement. Le droit de jouissance et d’usage, seul, est privatif.

La décision relatée décrit la conception que se fait le droit du Québec des « droits de jouissance exclusifs dans les parties communes à usage restreint » et des deux catégories de charges qu’elle génère.

L’article 1043 CcQ énonce : « Sont dites communes les parties des bâtiments et des terrains qui sont la propriété de tous les copropriétaires et qui servent à leur usage commun. Cependant, certaines de ces parties peuvent ne servir qu'à l'usage de certains copropriétaires ou d'un seul. Les règles relatives aux parties communes s'appliquent à ces parties communes à usage restreint. »

En droit québécois, les parties communes sont donc indivises entre tous les copropriétaires, même lorsqu’elles sont réservées à l’usage de certains d’entre eux. C’est au niveau seulement de la jouissance et de l’usage que joue la restriction prévue par la déclaration de copropriété (document fondateur).

Il en résulte que les dépenses de remplacement ou grosses réparations restent des charges communes générales, tandis que les dépenses courantes d’entretien et de « fonctionnement » restent à la charge des seuls utilisateurs.

Cette organisation confère à la structure de l’institution une solide cohérence.

 

A noter que le droit québécois ne connaît que la fraction (au lieu de notre lot). C’est un « condominium », d’ou l’abréviation « condo ». Et aussi que « CcQ » = Code civil du Québec ! 

 

 

COUR DU QUÉBEC  «Division des petites créances»  Canada

PROVINCE DE QUÉBEC   DISTRICT DE MONTRÉAL

LOCALITÉ DE Montréal

« Chambre civile » N°: 500-32-078483-031   DATE: 15 février 2005

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE RAOUL P. BARBE

 

ROLLANDE BEAUDET, 1254 Ste-Élizabeth, Montréal H2X 3C4

demanderesse

c.

SYNDICAT DES COPROPRIÉTAIRES 1121-1127 PLACE HENRI-GAUTHIER, 1121 Place Henri-Gauthier, Montréal H2M 2S1

défenderesse

 

JUGEMENT

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

[1]     Par une demande en justice signifiée le 31 octobre 2003, la demanderesse réclame le remboursement de 159,99$ qu'elle aurait payés en trop comme frais de copropriété.

LES FAITS

[2]     En 1985, MaBaie Construction Ltée construit un immeuble comprenant quatre unités de condo portant les numéros civiques 1121, 1123, 1125 et 1127 Place Henri-Gauthier (annexe 5) :

 

[3]     Le 3 février 1986, MaBaie signe la déclaration de copropriété. La quote-part prévue pour chaque copropriété par la déclaration de copropriété est la suivante :

 

 

1121

44,29%

 

1123

24,22%

 

1125

13,99%

 

1127

17,50%

 

 

[4]     Les condos sont vendus.

[5]     Le 5 juin 2002, la demanderesse Beaudet achète le condo 1125.

 

[6]     Le 13 août 2002, à la réunion de copropriétaires, Mme Beaudet, qui n'a pas de stationnement, se demande pourquoi elle devrait assumer une partie des dépenses de stationnement. Le procès-verbal fait état de ce qui suit :

 

[7]     Le 19 août 2003, M. Mijovic qui a été élu administrateur envoie à chacun des copropriétaires une copie du procès-verbal et fait état que tous ont payé leur versement trimestriel sauf Mme Beaudet :

[8]     Le 26 août 2002, la demanderesse écrit aux trois autres copropriétaires pour leur faire part de ses prétentions :

[9]     Le 12 septembre 2002, M. Mijovic répond à la demanderesse:

[10]    Le 26 septembre 2002, la demanderesse précise ses prétentions :

[

11]  En mars 2003, a lieu la réunion annuelle de quatre copropriétaires. Le 15 mai 2003, la demanderesse avertit les trois autres copropriétaires qu'elle va revenir sur le sujet de la répartition de certaines dépenses :

 

[12]    Les chiffres proposés par la demanderesse Beaudet n'ont pas été déposés.

 

[13]    Le 29 mai 2003, a lieu l'assemblée générale des copropriétaires a lieu. Quant aux états financiers 2002-2003 et au budget 2003-2004, l'assemblée décide ce qui suit :

 

[14]    Le 13 juin 2003, l'administrateur Mijovic envoie copie du procès-verbal à chaque administrateur.

 

[15]    Le 18 juin 2003, la demanderesse répond notamment ce qui suit :

 

[16]    En septembre 2003, la demanderesse veut vendre son condo. Le notaire instrumentant s'informe auprès de l'administrateur sur l'état des frais de condo. L'administrateur répond qu'un compte de 159,99$ est en souffrance.

 

[17]    Le 1er octobre 2003, la demanderesse paie les 159,99$ réclamés en réservant ses droits :

 

[18]    Finalement, les parties résument leurs prétentions respectives comme suit :

 

Demanderesse :  Non reproduit

 

Défenderesse :   Non reproduit

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[19]    Il faut d'abord noter que les deux parties ont travaillé sérieusement leur dossier. Elles basent toutes les deux leurs prétentions sur l'article 1064 du Code civil du Québec qui prévoit ce qui suit:

 

1064. « Chacun des copropriétaires contribue, en proportion de la valeur relative de sa fraction, aux charges résultant de la copropriété et de l'exploitation de l'immeuble, ainsi qu'au fonds de prévoyance constitué en application de l'article 1071. Toutefois, les copropriétaires qui utilisent les parties communes à usage restreint contribuent seuls aux charges qui en résultent. »

 

[20]    Le présent litige concerne les droits de jouissance exclusifs dans les parties communes à usage restreint, et concerne, en l'espèce, les dépenses pour l'entretien du terrain arrière qui est à l'usage exclusif du condo 1121; les dépenses de déneigement du stationnement où seuls les condos 1121, 1123 et 1127 ont accès; et les dépenses de chauffage des deux garages privés pour les condos 1121 et 1123.

[21]    Le monde de la copropriété divise utilise la notion de partie commune à usage exclusif ou restreint lorsqu'il rédige des déclarations de copropriété. En copropriété verticale d'habitation, par exemple, il préfère généralement considérer parties communes : les balcons, fenêtres et portes donnant accès aux parties privatives tout en en réservant l'usage exclusif au copropriétaire de la partie privative concernée. D'autres parties de l'immeuble, physiquement détachées de l'unité d'habitation, comme les espaces de stationnement et de rangement, sont souvent qualifiées de communes à usage restreint. Les parties communes à usage restreint sont également utilisées en copropriété horizontale, comme en l'espèce où la cour arrière et les espaces de stationnement sont parties des communes à usage restreint.

[22]    Les motifs pour lesquels on crée ainsi ces parties communes à usage restreint sont variées. On considère souvent que ces parties doivent être qualifiées de communes, parce qu'elles font partie de la structure de l'immeuble et contribuent ainsi à son harmonie visuelle. On désire ainsi les soumettre à l'administration du Syndicat tout en lui confiant la charge de leur entretien et de les assujettir aux règles régissant les parties communes.

[23]    La partie commune à usage restreint demeure la propriété indivise de tous les copropriétaires. Seul le droit de jouissance est affecté par une attribution exclusive.

[24]    La charge d'entretien confiée au Syndicat ne concerne que les parties communes. Comme le Code civil ne fait pas de distinction, il faut comprendre que le devoir d'entretien du Syndicat porte non seulement sur les parties communes à usage commun, mais aussi sur les parties communes à usage restreint (C.c.Q. a. 1059 et 1043 al. 2). Cependant, les charges résultant de cet entretien sont assumées par les copropriétaires qui jouissent privativement de ces espaces communs.

[25]    En effet, la dernière phrase de l'article 1064 précité édicte que « les copropriétaires qui utilisent les parties communes à usage restreint contribuent seuls aux charges qui en résultent », ce qui atténue la rigueur de la première phrase de cet article. La deuxième phrase doit cependant être lue avec les articles 1071 et 1072 C.c.Q. qui la complètent. Autrement, cette deuxième phrase pourrait laisser croire que le titulaire d'un droit d'usage exclusif dans une partie commune assume toutes les catégories de charges liées à cette partie commune comme cela fut décidé dans Jourdain c. Latouche (1996 R. D.I. 626 (C.Q.)), où l'on a jugé que le remplacement d'une fenêtre commune à usage restreint faisant partie du mur extérieur du bâtiment, en raison d'un problème de « vétusté d'un produit de qualité inférieure », était à la charge du copropriétaire qui en avait l'usage exclusif. Alors, il serait difficile de trouver un sens à l'article 1072 C.c.Q. in fine si l'on retenait cette interprétation. Il faut donc la rejeter (Christine Gagnon, Questions pratiques en copropriété divise: charges communes, espaces de stationnement et destination de l'immeuble, (2001) 1 C.P. du N. 79).

[26]    Il faut donc distinguer deux catégories de charges liées à une partie commune à usage restreint. La première catégorie de charges est relative aux réparations majeures et au remplacement des parties communes à usage restreint. Ces charges font l'objet d'un fonds de prévoyance en vertu des articles 1071 et 1072 C.c.Q. qui, d'ailleurs, ne distinguent pas entre les parties communes à usage commun et les parties communes à usage restreint. De ce fait le fonds de prévoyance couvre donc les réparations majeures et le remplacement des parties communes à usage restreint. Cette solution est tout à fait cohérente, puisque ces dépenses sont liées au droit de propriété et non à la jouissance des parties communes. L'article 1064 C.c.Q. énonce la règle générale selon laquelle tous les copropriétaires contribuent au fonds de prévoyance en proportion de la valeur relative de leur fraction. La première phrase de l'article 1064 C.c.Q. permet cependant de tenir compte des droits de jouissance exclusifs pour déterminer la contribution des copropriétaires au fonds de prévoyance, c'est-à-dire aux réparations majeures et au remplacement.

[27]    La deuxième phrase concerne les charges relatives à l'utilisation, soit les dépenses mineures de réparation et les coûts d'entretien. Ces charges qui se rapportent directement à l'utilisation des parties communes à usage restreint. Elles doivent être réparties entre les utilisateurs, selon la dernière phrase de l'article 1064 C.c.Q., à moins qu'il soit pratiquement impossible de faire cette répartition. Ainsi dans Beaulieu c. Syndicat de la copropriété de Bernières (1995 R.D. I. 199 (C.S.)) où la distinction des charges étaient pratiquement impossibles, la Cour supérieure a refusé d'appliquer la deuxième phrase de l'article 1064 C.c.Q. (voir aussi, Lanoix c. Condo Havre de la Seine, 1997 R.D.I. 613 (C.S.)). Or, en l'espèce, cette distinction est possible puisqu'il s'agit d'une catégorie de dépenses relatives à l'utilisation c'est-à-dire des dépenses d'entretien. Il faut donc faire droit aux prétentions de la demanderesse même si la Déclaration de copropriété aux articles 12.2.2 et 12.2.3 prévoit le contraire parce que l'article 1064 du C.c.Q. a priorité sur la Déclaration de copropriété. L'article 1064 est d'ordre public à laquelle il est impossible de déroger. Les termes de cet article ne laissent pas de latitude (Lanoix c. Condo Havre de la Seine 1997 R.D.I. 613 (C.S.); Syndicat des copropriétaires Domaine Rive St-Charles c. Noël, 1997 R.D.I. 127 (C.Q.); 1997 R.J.Q. 3057 (C.S.)).

 

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

 

CONDAMNE la défenderesse à payer à la demanderesse 159,99 $ plus l'intérêt au taux légal, plus l'indemnité additionnelle à compter de la signification du 31 octobre 2003 plus les frais judiciaires de 62 $.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

25/12/2006