Les EPERS : responsabilité du fabricant en vertu de l’article 1792-4 du Code civil

 

 

I.        caractèristiques de l’EPERS. 1

A.      nature du produit fabriqué. 1

B.       la destination du produit.. 1

1.        exigences précises DéTERMINéES à l’AVANCE. 1

2.        produit catalogué ou fabrication sur mesure ?. 1

3.        la mise en œuvre du produit.. 1

a)      auteur de la mise en oeuvre. 2

b)       mise en œuvre sans modification et conforme aux règles édictées. 2

C.       les avis du bureau central de tarification.. 2

II.       L’arrêt du 12 juin 2002. 2

III.      l’arrêt du 26 janvier 2007. 2

 

 

 

Sous le terme EPERS, on trouve l’abréviation barbare de l’expression « élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire », et l’une des innovations de la loi Spinetta du 4 janvier 1978 : la responsabilité solidaire, sous certaines conditions, du fabricant. L’article 1792-4 est ainsi conçu :

Le fabricant d’un ouvrage, d’une partie d’un ouvrage ou d’un élément d’équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage qui a mis en œuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré.

Sont assimilés à des fabricants pour l’application du présent article :

Celui qui a importé un ouvrage, une partie d’ouvrage ou un élément d’équipement fabriqué à l’étranger

Celui qui l’a présenté comme son œuvre en faisant figurer son nom, sa marque de fabrique ou tout autre élément distinctif

Chaque mot compte dans ce texte digne des rédacteurs de 1804. Mais les modes de construction sont plus sophistiqués de nos jours et les statuts des différents intervenants à l’acte de construction n’ont pas toujours la clarté souhaitable. Autant dire que les juristes présentent leurs travaux d’interprétation dans un climat à forte connotation économique. Notre propos est ici de rappeler les conditions retenues jusqu’à présent pour l’application de l’article 1792-4 et la mise en cause du fabricant tenu solidairement. Nous exposeront ensuite les enseignements à tirer de l’arrêt rendu le 12 juin 2002 par la 3e Chambre civile de la Cour de Cassation.

I.               caractèristiques de l’EPERS

La qualification EPERS se déduit de la réunion sur un produit des caractéristiques énoncées par le texte légal. Face à l’opposition acharnée des fabricants, le rôle de la jurisprudence et de la doctrine s’avéraient déterminants. Mais on ne peut oublier celui du Bureau Central de Tarification (BCT).

A.             nature du produit fabriqué

Il s’agit d’un ouvrage, d’une partie d’un ouvrage ou d’un élément d’équipement. Issue de l’ancien temps, la notion d’ouvrage s’entend de l’objet produit par le travail d’un artisan qui en a réalisé la totalité à partir d’un matériau brut. Dans la construction moderne on en trouve une représentation dans les différents lots d’un chantier complexe. Le gros œuvre est un ouvrage mais les techniques nouvelles peuvent exiger l’intervention de spécialistes qui réalisent une partie de cet ouvrage. Un revêtement d’étanchéité est un EPERS [1]

L’élément d’équipement est plus facile à définir :  il peut s’agir de pompes à chaleur par exemple[2]. La notion est identique à celle figurant dans le statut de la copropriété réserve faite de certaines extensions jurisprudentielles audacieuses comme le classement du tapis d’escalier dans les éléments d’équipement.

B.            la destination du produit

Il est produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l’avance

1.             exigences précises DéTERMINéES à l’AVANCE

On retrouve ici des notions bien connues dans le domaine plus ancien de l’obligation de renseignement et de conseil du vendeur. L’obligation du fabricant est plus stricte que celle du vendeur car il est censé être le mieux informé sur les avantages et les contraintes de son produit. Encore faut-il que le « client », lui-même technicien mais spécialiste d’une autre branche (entrepreneur de gros œuvre) ou plus généraliste (architecte), lui indique clairement ses besoins et ses propres contraintes. Construit-il en montagne ou en bord de mer ? Une discothèque de nuit ou une résidence du silence ? Dans une affaire récente[3], la responsabilité solidaire du fabricant d’un équipement de chauffage solaire n’a pas été retenue car les exigences techniques formulées par l’architecte résultaient de la présentation d’une maison modèle lauréate d’un concours organisé par le Ministère de l’Environnement. Or les maisons auxquelles étaient destinés les équipements fabriqués et fournis présentaient des caractéristiques différentes pour des raisons liées à leur implantation géographique.

2.             produit catalogué ou fabrication sur mesure ?

Il appartenait à l’architecte de faire connaître à l’avance les particularités du chantier et de recueillir l’engagement précis du fabricant de pouvoir les respecter. Cette possibilité peut résulter de l’existence au catalogue du fabricant de modèles courants répondant  aux besoins exprimés, soit de son accord pour une fabrication « sur mesure ». Un courant jurisprudentiel [4] a cru pouvoir réserver aux ouvrages, parties d’ouvrage ou éléments d’équipement fabriqués « sur mesure » la qualification d’EPERS. C’était sans nul doute ajouter à l’article 1792-4 une condition qu’il ne comportait pas. 

On rejoint ici la nécessaire distinction entre le contrat de vente d’un produit catalogué et parfois même en stock et le contrat d’entreprise auquel le fabricant se trouve joint par les dispositions de l’article 1792-4. Le commentateur de l’arrêt du 6 octobre 199 y fait d’ailleurs référence. Sans cacher son opposition au mécanisme de la responsabilité solidaire du fabricant dont il souhaite l’abrogation il fait remarquer que « le développement du contrat d’entreprise au détriment du contrat de vente  […] pourrait  réduire encore les cas de responsabilité décennale des fabricants » car elle interdirait au maître l’ouvrage, en l’absence de lien contractuel direct, de recherche ce nouveau locateur sous-traitant sur la base de l’article 1792-4.

3.             la mise en œuvre du produit

La mise en œuvre du produit incombe au locateur d’ouvrage. Elle doit être effectuée  sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l’ouvrage, la partie d’ouvrage ou élément d’équipement considéré

a)      auteur de la mise en oeuvre

L’auteur de la mise en œuvre du produit doit avoir la qualité de locateur d’ouvrage à l’égard du maître de l’ouvrage. La solidarité du fabricant exige en effet que son cocontractant soit tenu de l’obligation principale envers le maître d’ouvrage.

b)      mise en œuvre sans modification et conforme aux règles édictées

C’est l’évidence même. Le fabricant ne peut être tenu solidairement que si le produit qu’il a fourni a été mis en œuvre sans modification préalable, quelles qu’en soient les raisons. Dans l’affaire jugée par l’arrêt de la Cour de Cassation du 06/10/1999, des modifications avaient été apportées au produit pour tenir compte des particularités locales du chantier.

Il est de même évident que la mise en œuvre doit être effectuée conformément aux prescriptions techniques du « mode d’emploi » établi par le fabricant. Ce n’est qu’en cas d’erreur dans ce document qu’il pourrait être déclaré responsable de manière ou d’autre.

Certains auteurs ont exprimé cette condition en exigeant du produit une capacité propre à être mis en œuvre sans modification et conformément aux règles édictées. La nuance n’est pas négligeable. Il ne s’agirait plus alors de rechercher la faute du locateur d’ouvrage modifiant le produit ou ne respectant pas les prescriptions du guide d’installation mais bien celle du fabricant ayant fourni un produit non conforme aux exigences formulées. Le texte présente clairement la modification et/ou le non-respect des prescriptions de mise en œuvre comme une cause d’exonération de la responsabilité solidaire du fabricant.  C’est donc bien la seule faute du locateur d’ouvrage qui est visée par le texte.

C.            les avis du bureau central de tarification

Le BCT a pour rôle légal de fixer le montant de la prime moyennant laquelle l’assureur serait tenu de garantir un risque proposé et qu’elle aurait refusé en raison de sa nature. La compagnie refusant de se conformer à un avis du BCT peut faire l’objet d’un retrait d’agrément. On comprend aisément que ces avis constituent une véritable jurisprudence. C’est notamment le cas pour la qualification des EPERS.

Les avis du BCT reconnaissant ou non à un produit la qualité d’EPERS sont nombreux[5]. Donnés à l’occasion de la souscription du contrat d’assurance, ils précèdent évidemment la mise en œuvre du produit et ne tiennent compte sur des qualités propres du produit. On ne peut donc comparer les solutions avec celles de la jurisprudence qui, s’agissant d’un produit considéré comme EPERS par le BCT, perd ensuite cette qualité en raison d’une modification par exemple. 

D’une manière générale, les critères retenus sont essentiellement liés à la qualité d’ouvrage, de partie d’ouvrage ou d’élément d’équipement. Cela est parfaitement normal si l’on s’en tient au texte. On ne peut considérer une colle comme une partie d’ouvrage (avis négatif du 09/03/1998). Ses qualités particulièrement remarquables ne peuvent justifier son assujettissement aux dispositions de l’article 1792-4. Le rôle de conception du fabricant ne peut donc être pris en considération qu’en fonction du produit conçu  Nous ne sommes pas ici dans le domaine des brevets malgré l’extension de la responsabilité à « celui qui l’a présenté comme son œuvre en faisant figurer son nom, sa marque de fabrique ou tout autre élément distinctif ». Certains auteurs font pourtant remarquer que la qualification d’EPERS est attachée à un critère de réduction de la conception de l’ouvrage[6], rendue possible par « l’action du fabricant qui a réalisé ses propres études de faisabilité ».Il est bien certain que la tâche de l’architecte est facilitée par l’existence de parties d’ouvrage préfabriquées et présentant des qualités appréciables et conformes à l’économie générale de son projet. L’observation est de moindre valeur lorsqu’il s’agit d’un élément d’équipement car, de toute manière, il ne peut être fourni que par un fabricant.

Notons enfin que, dans de nombreux cas, les EPERS sont des innovations techniques dont l’emploi accroît sans aucun doute les risques de la construction.

II.             L’arrêt du 12 juin 2002

Nous avons indiqué plus haut que les fabricants ont accueilli sans plaisir les dispositions nouvelles de l’article 1792-4. On a fait valoir que « la victime se trouve déjà largement protégée par l’assurance de dommages, et, en son absence, par les assurances de responsabilité obligatoires des locateurs d’ouvrage » mais également que le fabricant n’est pas un participant à l’acte de construire comme les autres. Il est vrai qu’il n’est pas en relation directe avec le chantier.

La jurisprudence a tenu compte de ces observations en faisant application de manière très restrictive de l’article 1792-4. L’arrêt rendu par la Cour de Cassation le 12 juin 2002 (voir l’arrêt) se présente comme un revirement radical en mettant un terme que l’on peut espérer définitif à la controverse relative à une éventuelle différence de traitement entre les ouvrages ou éléments d’équipement fabriqués en série et ceux « faits sur mesure ». S’agissant de panneaux d’isolation pour des bâtiments d’élevage, la Cour se borne à reconnaître qu’ils ont bien été «  conçus pour satisfaire à des exigences précises et déterminées à l’avance ». Point n’était besoin d’établir un cahier des charges dès lors que le fabricant proposait un produit répondant explicitement aux besoins de l’exploitant. Il importait peu, dès lors que les panneaux n’aient pas été conçus spécialement pour le chantier en question et la Cour de Cassation l’exprime clairement.

Il est peut-être audacieux de voir dans cette décision l’amorce d’un « renouveau » des EPERS. Mais elle constitue un coup d’arrêt à l’offensive des partisans de l’abrogation de l’article 1792-4. Sans méconnaître le statut particulier du fabricant au sein de l’équipe des constructeurs, on peut approuver sa participation aux profits, mais également aux risques de l’opération surtout lorsque le produit est présenté, comme c’est fréquemment le cas, comme  un remède miraculeux à des difficultés techniques récurrentes.

III.           l’arrêt du 26 janvier 2007

L’assemblée plénière de la Cour de cassation a, de manière identique, retenu la responsabilité d’un fabricant par un arrêt du 26 janvier 2007 (voir l’arrêt) qui constituera, au moins pour un temps, une solide référence. Après un examen minutieux des éléments de la cause et des moyens invoqués, elle statue dans les termes suivants :

« Mais attendu qu’ayant constaté, d’une part, que la société Plasteurop avait déterminé les dimensions des différents panneaux commandés par la société Sodistra et les avait fabriqués sur mesure afin de répondre à des exigences sanitaires et thermiques spécifiques, d’autre part que les aménagements effectués sur le chantier étaient conformes aux prévisions et directives de la société Plasteurop, la cour d’appel en a exactement déduit que le fabricant de ces panneaux, conçus et produits pour le bâtiment en cause et mis en oeuvre sans modification, était, en application des dispositions de l’article 1792-4 du code civil, solidairement responsable des obligations mises à la charge du locateur d’ouvrage ; »

 

Elle relève d’une part la fabrication sur mesure mais écarte de plus l’argument tiré du fait que les panneaux avaient subi des aménagements sur le chantier. Ils étaient en effet conformes aux prévisions et directives de la société Plasteurop.

 

Note JPM 17/08/2007 :

On peut signaler dans le même sens les arrêts  :

Cass. civ. 25/04/2007 n° 05-17838

Cass. civ. 25/04/2007 n° 05-20585

Cass. civ. 25/04/2007 n° 05-20455

Cass. civ. 25/04/2007 n° 05-20586

 

On assiste donc à une élaboration progressive du régime de la responsabilité solidaire du fabricant prévue par l’article 1792-4 du Code civil.

 

 

 

 

 

Mise à jour

17/08/2007

 

Révision
17/08/07

 

 



[1]  Cass. civ. 25/11/1998

[2]  Cass. civ. 3  20/01/1973

[3]  Cass. civ. 3 06/10/1999  RDI 2000 p. 207

[4]  CA Paris 30/05/1990  RDI 1990 376 par exemple

[5]  Voir ceux cités dans la note sous Cass. civ. 3  06/10/1999 RDI 2000 207

[6]  Voir DPGI v° Responsabilités et assurances construction n° 58