La devanture

 

 

I.      consistance et fonctions de la devanture

II.     régime juridique

A.    liberté d’aménagement

B.     encadrement des modifications

C.    charges du ravalement de la façade support

 

 

Il faut en premier lieu définir la consistance et la fonction techniques de la devanture d’une boutique.

I.               consistance et fonctions de la devanture

Depuis le début du 19e siècle, le terme désigne l’ensemble de boiseries, vitrages et équipements divers qui assure la clôture sur rue d’une boutique tout en permettant l’accès à la boutique et l’exposition des marchandises proposées à la vente.

A l’achèvement de la construction d’un nouvel immeuble, un local commercial se présente, au rez-de-chaussée, sous l’aspect d’une ouverture béante dans la façade de l’immeuble. Les éléments de façade constituant le cadre de cette ouverture sont appelés à servir de support à la devanture.

Les vitrines de l’époque comportaient un soubassement, des panneaux et une porte vitrés, un entablement supérieur équipé d’une bavette de zinc ou de plomb assurant le jet des eaux de pluie et des caissons latéraux ouvrants dans lesquels on repliait les volets. Le soubassement extérieur constituait généralement l’une des faces de coffres intérieurs de rangement dont le dessus était utilisé pour l’étalage des marchandises exposées. De nos jours les devantures sont essentiellement constituées d’éléments métalliques et vitrés.

La devanture reste avant tout une clôture. Aux volets anciens ont été substitués des rideaux ou grilles métalliques dont les mécanismes sont installés dans les caissons latéraux ou dans un caisson supérieur placé sous l’entablement. Les éléments vitrés sont renforcés. On y trouve bien entendu une porte d’accès à la boutique.

Mais l’élément essentiel de la devanture est la vitrine qui a pour fonction d’attirer et retenir le passant, client potentiel [1] . La même fonction est dévolue à l’enseigne, qui fait partie de la devanture lorsqu’elle se présente sous la forme d’inscriptions figurant sur un panneau horizontal placé au-dessus de la vitrine, sous l’entablement. Il n’en est pas de même lorsqu’il s’agit d’une « enseigne pendante » qui s’avance dans la rue, suspendue à une potence scellée dans la façade.

 

Telles que nous venons de les décrire, les devantures constituent des ensembles autonomes techniquement et juridiquement.

Elles peuvent faire l’objet de dispositions administratives spécifiques (urbanisme, environnement, etc.) et d’une protection au titre de la sauvegarde du patrimoine (classement ou plus fréquemment inscription à l’inventaire du Patrimoine). Certaines rénovations audacieuses de locaux commerciaux sont contestées aussi bien par le voisinage que par les copropriétaires de l’immeuble concerné.

 

Notons encore que, dans le passé, les « devantures » (au pluriel) étaient ce que nous appelons désormais  les étalages extérieurs, placés sur les trottoirs au droit des boutiques. Ils sont soumis à une réglementation administrative particulière. Les copropriétaires s’offusquent parfois de la présence de ces étalages. La jurisprudence [2] a présenté un cas particulier dans lequel le trottoir est une partie commune de la copropriété (arcades de la rue de Rivoli à Paris) . L’autorisation administrative donnée au commerçant est inopposable au syndicat des copropriétaires.

Dans le cas identique d’installation de devantures dans une galerie marchande partie commune, il a été jugé que l’autorisation doit être donnée par l’assemblée générale à la majorité de l’article 26 [3] .

Des cas voisins sont ceux des terrasses de café ou des expositions de motos sur les trottoirs. Pour l’installation d’une terrasse extérieure de café, les solutions sont contradictoires [4] . A notre avis, la question posée ne relève pas d’une extension de la notion de devanture, mais de l’extension de l’espace commercial utilisable, compte tenu des usages du lieu et notamment du quartier. La jurisprudence exige alors la justification d’un trouble lié à l’installation de la terrasse pour en ordonner la suppression.

Jugé ainsi que la devanture d'un commerce devant s'entendre comme étant la clôture du magasin sur l'extérieur, le droit reconnu par le règlement de copropriété au copropriétaire de locaux commerciaux situés au rez-de-chaussée de modifier comme il l'entend la devanture de son commerce doit s'entendre, dès lors que ce droit n'est assorti d'aucune limitation, comme autorisant la construction de toute nouvelle devanture, même si celle-ci est réalisée par une emprise partielle ou totale sur une terrasse privative, à condition, bien évidemment, qu'elle n'emporte pas empiétement sur une partie commune.

En conséquence, la Cour d’appel de Versailles a rejeté la demande de démolition de la véranda d'un café-brasserie présentée par un copropriétaire qui ne rapportait pas la preuve qu’il subissait, du fait de la présence régulière de cette véranda, des troubles excédant la mesure normale des inconvénients du voisinage [5] .

II.             régime juridique

Les devantures sont classiquement définies par les règlements de copropriété comme parties privatives liées aux lots à destination commerciale. Dans le silence du règlement, la jurisprudence adopte une solution identique [6]

A.      liberté d’aménagement

On en a déduit dans un premier temps la liberté qu’avaient les commerçants d’ aménager à leur gré les devantures comprises dans les parties privatives et procéder à leur réfection à la condition que les travaux n'affectent pas l'aspect extérieur de l'immeuble et ne nuisent pas à sa destination [7] .

La même solution a été adoptée pour le premier aménagement d’un local commercial après achèvement de l’immeuble. En l’absence d’aménagement de la devanture par le constructeur et de disposition du règlement de copropriété réglementant les modalités d'aménagement des devantures non comprises dans les parties communes de l'immeuble, les acquéreurs d'un lot à usage commercial n'ont aucune autorisation à solliciter pour l'installation de la devanture de leur magasin, dès lors que les prescriptions du cahier des charges limitatives de l'usage des parties privatives sont seulement applicables aux appartements [8] .

B.     encadrement des modifications

Mais les travaux modificatifs d’une devanture affectent par nature d’aspect extérieur de l’immeuble. Le commerçant, soit directement, soit par l’intermédiaire de son bailleur, agit alors prudemment en informant les copropriétaires de ses projets et, le cas échéant, en les faisant valider par une autorisation de l’assemblée.

Il en est ainsi même si le commerçant modifie une devanture qu’il a établie lui-même après livraison du local commercial brut de décoffrage [9] et pareillement lors de l'installation d'une devanture [10]  ou de la transformation de la façade d'une boutique [11] .

Lorsque la demande du commerçant est rejetée par l’assemblée générale, il peut, -ou le bailleur -, solliciter une autorisation judiciaire dans les conditions prévues par l’article 30. Les transformations de la devanture d'un magasin constituent une amélioration dès lors qu'elles doivent faciliter l'exploitation commerciale du copropriétaire demandeur [12] .

 

A propos de la modification d’une devanture, le contrôle du Juge s’étend à la conformité de l’activité commerciale projetée avec la destination générale de l’immeuble. Dans le cas d’un changement d’activité (café bar à transformer en night-club bar américain restaurant), la Cour d’appel a jugé que cette activité serait génératrice de nuisances multiples pour les copropriétaires et «  incompatible avec la destination de l’immeuble essentiellement à usage d’habitation bourgeoise ». Elle a jugé en outre que la modification de la devanture « apporterait à l’aspect extérieur de l’immeuble une modification incompatible avec la destination de celui-ci ». La Cour de cassation [13] a rejeté le pourvoi contre cet arrêt, fondé sur l’article 9 alinéa 1 de la loi du 10 juillet 1965, en répondant que la Cour d’appel « .avait souverainement retenu que l’exploitation du commerce envisagé et la réalisation du projet relatif à la vitrine étaient incompatibles avec la destination de l’immeuble »

C.     charges du ravalement de la façade support

Le régime juridique des devantures de boutiques a généré d’autres difficultés : elles concernent la répartition des charges liées au ravalement de la façade dont dépend la devanture.

Les règlements anciens laissaient aux propriétaires des boutiques la charge technique et financière de l’entretien des devantures. Ils contenaient fréquemment, à titre de contrepartie, une clause les exonérant de toute contribution aux frais de ce ravalement.

Cette clause a, dans un premier temps, été déclarée licite par la jurisprudence [14]. Mais la Cour de cassation a finalement adopté une position différente qui est fortement motivée dans un arrêt du 8 juillet 1998 [15]  : 

« Mais attendu qu'ayant relevé qu'étaient considérées par le règlement de copropriété comme parties communes les façades de l'immeuble à l'exception, en ce qui concerne les boutiques et magasins, de leurs devantures et vitrines et retenu, sans dénaturation, qu'il n'était pas possible d'en déduire que les façades des lots à usage commercial appartenant à la SCI étaient des parties privatives, même si l'entretien de ces devantures était à la charge du propriétaire de ces lots, la cour d'appel qui ne s'est pas prononcée par un motif ambigu et qui n'était pas tenue, au vu de ses constatations, de rechercher si la présence de glaces sur toute la longueur de la devanture et constituant essentiellement celle-ci n'était pas de nature à classer la façade dans les parties privatives, a décidé, à bon droit, que la qualification de travaux d'entretien de l'immeuble donnée aux travaux de ravalement devait entraîner l'application de la règle de répartition de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 10 juillet 1965, sans restriction aucune, notamment au profit de propriétaires de lots définis comme boutiques et en a exactement déduit que toute stipulation contraire du règlement de copropriété, relative aux lots du sous-sol et du rez-de-chaussée, devait être réputée non écrite ; »

On note en premier lieu que la Cour de cassation distingue soigneusement la devanture, partie privative des « façades des lots commerciaux », sans prendre en considération « la présence de glaces sur toute la longueur de la devanture » et en tirer la nécessité pour la Cour d’appel de « rechercher si la présence de glaces sur toute la longueur de la devanture et constituant essentiellement celle-ci n'était pas de nature à classer la façade dans les parties privatives ».

Dès lors, l’article 10 alinéa 2 trouve sa pleine application. Les façades sont des parties communes générales et le coût des travaux d’entretien les concernant doit être réparti entre tous les copropriétaires au prorata des tantièmes généraux. La Cour de cassation étend cette solution à tous les travaux de même nature, comme ceux concernant les escaliers que les commerçants du rez-de-chaussée n’empruntent jamais.

Il n’y a d’exception possible que lorsque le règlement de copropriété constitue explicitement la façade au niveau des boutiques en partie privative. Une telle clause est d’autant plus rare que la stipulation est contre nature.

La Cour d’appel de Bourges a adopté récemment la même solution [16]

 

Les propriétaires de lots commerciaux ont tenté d’utiliser à leur profit une autre clause que l’on trouve fréquemment dans les règlements de copropriété. Dite « clause de globalisation du ravalement », elle prévoit qu’à l’occasion des travaux de ravalement les travaux concernant certaines parties privatives (balcons, extérieurs divers, etc.) sont inclus dans le chantier dont le coût total est alors réparti comme les charges communes générales. Ils ont tenté de faire valoir que cette clause devait s’appliquer également aux devantures.

La 19e chambre de la Cour d’appel de Paris [17] a rejeté cette prétention en faisant valoir que les devantures des locaux commerciaux du rez-de-chaussée n'ont pas vocation à participer à l'uniformité des façades. Dès lors, les stipulations du règlement de copropriété prévoyant qu'en cas de ravalement, les travaux de peinture sur les parties privatives faisant corps avec les parties communes seront compris dans les travaux d'ensemble de ravalement et répartis comme lesdits travaux, ne peuvent leur être appliquées.

 

Les locaux commerciaux sont généralement loués. Les devantures font l’objet de clauses spéciales dans les baux commerciaux. Elles imposent le maintien en bon état d’entretien des boiseries ou autres éléments. Le bail ne peut pas comporter des dispositions ou autorisations contraires aux clauses du règlement de copropriété.

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

24/04/2007

 

 

 



[1] Qu’il faut distinguer du « chaland », client habituel

[2] TGI Paris 8e 30/09/1987 GP 1988-2-somm. 353

[3] Cass. 3e civ., 09/01/1986 JCP G 1986, IV, 276

[4] Cass civ 3e 29/10/1974 RTDC 1975 341/347 Note Giverdon (rejet de l’autorisation) ; contra Cass civ 07/02/1990 Loy cop avril 1990

[5] CA Versailles, 16/04/1992 Administrer nov. 1992, p. 80

[6] Cass. 3e civ., 26 avr. 1979 Administrer février 1980 p. 24

[7] CA Lyon, 15/10/1975  D. 1976, IR p. 57. ; TGI Paris, 04/02/1975 D. 1976, IR p. 70 et 05/01/1977 D. 1978, IR p. 120

[8] Cass. Civ. 3e  26/04/1979 D. 1980, IR p. 31 ; RL 1979, p. 433 et CA Paris, 13/09/2001 Loyers et cop. 2002, n° 106

[9] CA Paris, 23e 20/03/1991 : Loyers et cop. 1991, n° 234

[10] Cass. Civ. 3e 30/05/1972 AJPI 1973-804 ; CA Paris, 20/03/1991 Loyers et cop. 1991, n° 234

[11] TGI Paris, 05/01/1977  D. 1978, IR p. 120

[12] CA Paris, 23e ch., 20/03/1991 Loyers et copr. 1991, n° 234

[13] Cass. Civ. 3e 15/05/1991 Administrer fév 1992 p. 46 note Guillot

[14] CA Aix-en-Provence, 31/10/1990 ; CA Paris, 21/10/2004. ; Cass. Civ. 3e, 14/11/1991  Loyers et cop. 1992, n° 35

[15] Cass. Civ. 3e 08/07/1998 RDI 1998 683 note Capoulade

[16] CA Bourges 21/06/2005 n° 04-01679 Loyers et cop. 2006 n° 137 note Vigneron

[17] CA Paris, 19e ch. A, 25/02/2004 Loyers et cop. 2004, n° 137