Liquidation des biens d’un copropriétaire

Irrégularité de l’opposition sur le prix de la vente du lot

ventilation de la créance conformément à l’article D 5-1 (NON)

Nullité de l’opposition (oui)  Perte du privilège spécial (oui)

 

 

Cassation  civile 3e   25 octobre 2006               Rejet

Cour d’appel de Paris (2e chambre, section B)  19-05-2005

N° de pourvoi : 05-16835

 

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que la société Immobilière V, propriétaire de lots dans un immeuble en copropriété, débitrice de charges de copropriété, a été mise en liquidation judiciaire le 28 novembre 1994 ; que ses lots ont été adjugés suivant jugement du 2 juillet 1998 pour le prix de 115 861 euros qui a été consigné entre les mains de M. X..., en sa qualité de mandataire liquidateur de cette société , lequel a colloqué le syndicat des copropriétaires du 11/13 rue Gracieuse et 73 rue Mouffetard à Paris 5ème (le syndicat) au 13ème rang de la collocation pour une somme de 54 369,74 euros ; que la société Cry limited, garantie par un privilège de prêteur de deniers et par deux hypothèques en deuxième et troisième rangs, a contesté cet état ;

 

Sur le moyen unique :

 

Attendu que le syndicat fait grief à l’arrêt d’accueillir cette demande, alors, selon le moyen que le syndicat des copropriétaires est créancier privilégié sur l’immeuble vendu pour les créances afférentes aux charges et aux travaux ; qu’il est tenu de délivrer une opposition au paiement du prix de vente mentionnant le montant et les causes des créances afférentes aux charges et aux travaux ; qu’il résulte des propres constatations de la Cour d’appel que l’opposition délivrée par le syndicat mentionnait le montant des sommes dues, la période pour laquelle elles étaient dues et leur nature ; qu’en estimant ces mentions insuffisantes pour que le syndicat soit un créancier privilégié, la Cour d’appel a violé les articles 2103-1 bis du Code civil et 5-1 du décret du 17 mars 1967 ;

 

Mais attendu qu’ayant relevé que l’opposition délivrée entre les mains de M. X..., ès-qualités, visait les charges et travaux du 15 février 1992 au 15 novembre 1994 pour 471 949,86 francs, les charges et travaux du 10 janvier 1995 à ce jour pour 595 909,75 francs, soit un total de 1 067 859,61 francs et qu’il n’était pas établi que le relevé détaillé des sommes réclamées produit par le syndicat avait été annexé à l’acte, la cour d’appel en a exactement déduit que cette opposition énonçant de façon insuffisante les causes et le montant des créances du syndicat au regard de l’article 5-1 du décret du 17 mars 1967, celui-ci, qui n’avait fait inscrire aucune hypothèque sur l’immeuble vendu au titre des charges impayées, ne bénéficiait d’aucun rang préférable à celui de la société Cry limited, prêteur de deniers et créancier privilégié ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE le pourvoi ;

 

Condamne le syndicat des copropriétaires du 11-13 rue Gracieuse et 73 rue Mouffetard à Paris 5ème aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, condamne le syndicat des copropriétaires du 11-13 rue Gracieuse et 73 rue Mouffetard à Paris 5ème à payer à la société Cry limited la somme de 2 000 euros ;

Vu l’article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette la demande du syndicat des copropriétaires du 11-13 rue Gracieuse et 73 rue Mouffetard à Paris 5ème ;

 

 

COMMENTAIRES :

 

L’arrêt relaté ne comporte aucune solution juridique extraordinaire mais donne un exemple des stupéfiantes défaillances de gestion que l’on peut trouver dans la pratique.

La société Immobilière V, copropriétaire a été mise en liquidation judiciaire le 28 novembre 1994 ;

Elle était débitrice de 471 949,86 francs au titre des charges et travaux du 15 février 1992 au 15 novembre 1994  C’est la période antérieure à la mise en liquidation.

A cette somme il fallait ajouter celle de 595 909,75 francs au titre des charges et travaux du 10 janvier 1995  « à ce jour »  (sans doute celui de la délivrance de l’opposition ou mieux celui de l’adjudication à défaut de surenchère ? )

soit un total de 1 067 859,61 francs, soit 162 794 €

On note que le syndicat n’avait fait inscrire aucune hypothèque pendant la période antérieure à la mise en liquidation !

Les lots ont été adjugés suivant jugement du 2 juillet 1998 pour le prix de 115 861 euros qui a été consigné entre les mains de M. X..., en sa qualité de mandataire liquidateur. Le syndic a fait opposition en invoquant le privilège spécial du syndicat. .

Le liquidateur a colloqué le syndicat au 13ème rang de la collocation pour une somme de 54 369,74 euros (356 642 francs). Malgré son 13e rang, le syndicat privilégié entrait en concours avec un créancier privilégié comme préteur de deniers mais l’évinçait comme créancier hypothécaire. Ce créancier a contesté la collocation établie par le liquidateur en invoquant l’irrégularité de l’opposition effectué par le syndic. C’est une procédure classique utilisée par les créanciers évincés par le privilège d’un syndicat de copropriétaires.

En l’espèce, pour une créance exceptionnellement importante, l’opposition délivrée par le syndicat mentionnait seulement le montant des sommes dues, la période pour laquelle elles étaient dues et leur nature. Or l’article 5-1 du décret du  17 mars 1967 (demeuré inchangé) est particulièrement pointilleux quant à la présentation de l’opposition :

« L'opposition éventuellement formée par le syndic doit énoncer d'une manière précise :

« 1° Le montant et les causes des créances du syndicat afférentes aux charges et travaux mentionnés aux articles 10 et 30 de la loi du 10 juillet 1965 de l'année courante et des deux dernières années échues ;

« 2° Le montant et les causes des créances du syndicat afférentes aux charges et travaux mentionnés aux articles 10 et 30 de la loi du 10 juillet 1965 des deux années antérieures aux deux dernières années échues ;

« 3° Le montant et les causes des créances de toute nature du syndicat garanties par une hypothèque légale et non comprises dans les créances privilégiées, visées aux 1° et 2° ci-dessus ;

« 4° Le montant et les causes des créances de toute nature du syndicat non comprises dans les créances visées aux 1°, 2° et 3° ci-dessus. »

 

Il est bien évident que l’opposition du syndicat, telle que décrite ci dessus, ne pouvait répondre aux prescriptions de l’article D 5-1, et ne permettait pas de déterminer convenablement les charges dont les montants étaient garantis par le privilège spécial. La Cour de cassation avait déjà statué dans le même sens par un arrêt du 15 décembre 2004 [1]

Comme par ailleurs le syndic avait omis de faire inscrire l’hypothèque légale du syndicat, ce dernier risque au final de devoir passer sa créance de 162 794 € par profits et pertes !

 

 

Il faut ajouter deux observations complémentaires :

Comme tout créancier, le syndic, ès-qualités,  peut déclarer, dans les délais légaux, la créance du syndicat telle qu’elle se présente à la date du jugement de mise en liquidation. Mais il n’est pas informé par le mandataire liquidateur de la mise en liquidation car le syndicat  ne figure pas parmi les créanciers inscrits. En effet le privilège immobilier du syndicat est occulte. Il est donc fréquent que la déclaration soit effectuée après expiration des délais légaux.

Le privilège invoqué ne peut jouer qu’au moment de la vente du lot. Il reste à savoir si le syndicat peut exercer une pression sur le liquidateur pour hâter une vente qui est souvent tardive.

 

Sur ce point, la loi n° 2005-845 du 26/07/2005 a profondément réformé le régime des procédures collectives. En particulier les articles L 642-18 et suivants, relatifs à la cession des biens du débiteur, permettent pour les immeubles, le recours à la cession amiable..

Le règlement des créanciers fait l’objet des articles L 643-1 et suivants. L’article L 643-2 dispose :

« Les créanciers titulaires d'un privilège spécial, d'un nantissement ou d'une hypothèque et le Trésor public pour ses créances privilégiées peuvent, dès lors qu'ils ont déclaré leurs créances même s'ils ne sont pas encore admis, exercer leur droit de poursuite individuelle si le liquidateur n'a pas entrepris la liquidation des biens grevés dans le délai de trois mois à compter du jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire.

« Lorsque le tribunal a fixé un délai en application de l'article L. 642-2, ces créanciers peuvent exercer leur droit de poursuite individuelle à l'expiration de ce délai, si aucune offre incluant ce bien n'a été présentée.

« En cas de vente d'immeubles, les dispositions des premier, troisième et cinquième alinéas de l'article L. 642-18 sont applicables. Lorsqu'une procédure de saisie immobilière a été engagée avant le jugement d'ouverture, le créancier titulaire d'une hypothèque est dispensé, lors de la reprise des poursuites individuelles, des actes et formalités effectués avant ce jugement.

Il est trop tôt pour apprécier les effets pratiques de cette réforme.

 

 

 

 

 

Mise à jour

27/11/2006

 

 

 



[1] Cass. Civ. 3e 15/12/2004  n° 03-15174 Loyers et copropriété 2005 n°40