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Responsabilité du propriétaire constructeur

Infractions aux  prescriptions d’urbanisme

Preuve de la faute par voie d’expertise (oui)

Effet absolutoire  du certificat de conformité (non)

Préjudice de privation des vues

 

La faute du propriétaire constructeur , résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et recherchée sur le fondement de l’article 1382 C. civ. par un propriétaire voisin, peut être établie par tous moyens, nonobstant la délivrance du certificat de conformité

 

Cassation civile 3e   23 octobre 2013

Décision attaquée : Cour d’appel d’Aix-en-Provence , du 7 mai 2012

N° de pourvoi: 12-24919

 

Cassation

 

 

 

Sur le moyen unique :

Vu l’article 1382 du code civil ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 7 mai 2012), que M. X..., estimant que la maison en cours d’édification sur le terrain voisin, dépassait la hauteur autorisée par le plan d’occupation des sols et le permis de construire, a obtenu par une ordonnance du 13 novembre 2002, la désignation d’un expert ; qu’après le dépôt du rapport, M. X... a assigné M. Y... en démolition du toit de sa maison et paiement de dommages-intérêts, que ce dernier a appelé en intervention forcée le maître d’œuvre, la société Techma et Mme Z..., ès qualités de mandataire liquidateur de cette société ;

Attendu que pour débouter M. X... de sa demande de dommages intérêts, l’arrêt retient que le 4 octobre 2004, M. Y... s’est vu accorder un certificat de conformité pour les travaux ayant fait l’objet du permis de construire accordé le 12 octobre 2001, que ce certificat, dont la légalité n’est pas contestée, atteste de la conformité des travaux au permis de construire, que cette décision administrative, que le juge de l’ordre judiciaire ne saurait remettre en cause, prévaut sur les constatations effectuées par les experts judiciaires et apporte la preuve qu’aucune violation des règles d’urbanisme ne saurait être reprochée à M. Y... et qu’en l’absence de faute imputable à M. Y... celui-ci ne saurait voir engager sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil ;

Qu’en statuant ainsi, alors que la faute de M. Y..., résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil, pouvait être établie par tous moyens, la cour d ¿ appel a violé le texte susvisé ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 7 mai 2012, entre les parties, par la cour d’appel d’Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Aix-en-Provence, autrement composée ;

Condamne M. Y... aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, condamne M. Y... à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de M. Y... ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois octobre deux mille treize.

 

 

Commentaires

 

L’arrêt est important, nonobstant la disparition du certificat de conformité, remplacé par une déclaration attestant l’achèvement et la conformité des travaux (DAACT), faite par le propriétaire constructeur.

Sa portée pourrait dépasser les frontières du droit de l’urbanisme.

 

Les faits de la cause sont les suivants :

 

Monsieur Y... a fait construire une maison d’habitation à..., en vertu d’un permis de construire n° PC8306801XC065 qui lui a été accordé par arrêté du 12 octobre 2001 ; le chantier a été achevé le 29 mars 2004 ; le 4 octobre 2004 Monsieur Y... s’est vu accorder le certificat de conformité pour les travaux ayant fait l’objet de ce permis de construire

Le fonds de Monsieur X... ne fait pas partie du lotissement auquel appartient celui de Monsieur Y... ;  Monsieur Y... était donc tenu de respecter en sa qualité de propriétaire de la commune les règles d’urbanisme édictées par le plan d’occupation des sols de la commune de...

Au vu, d’une part, du permis de construire octroyé à Monsieur Ludovic Y... et, d’autre part, du plan d’occupation des sols de la commune de..., la construction litigieuse ne devait pas dépasser une hauteur de 6 mètres au dessus du niveau du sol ;

Le rapport d’expertise de Monsieur Jean-Michel A..., géomètre expert, remis le 11 décembre 2007 conclut que « la construction édifiée dépasse légèrement le seuil autorisé par le plan d’occupation des sols de la commune de... et, de la même manière, n’est pas conforme au permis de construire accordé » ; l’expert a constaté que la hauteur à l’égout du toit dépassait de 34 cm de hauteur autorisée sur l’angle sud est de la maison, de 43 cm sur l’angle sud ouest, et un dépassement de 54 cm pour le faîtage ;

En outre, le rapport d’expertise de Monsieur Bernard B..., remis le 25 juin 2004, établissait également que « les cotes de l’égout du toit trouvées aux deux angles de la toiture... font apparaître un dépassement en hauteur respectivement de 0, 54 m et de 0, 44 m » ;

 

Monsieur X... invoquait, d’une part, de la perte de vue sur la mer dont il disposait antérieurement et, d’autre part, la perte de valeur de sa propriété résultant de la perte de la vue sur la mer.

Il soutenait que si le permis de construire régit les rapports du constructeur envers l’administration, qui ne délivre les autorisations, en fonction des dispositions légales et réglementaires applicables, que sous réserve des droits des tiers, la violation de ses dispositions revêt le caractère d’une faute, non seulement à l’égard de l’administration, mais également envers les voisins ;

Et que la délivrance d’un certificat de conformité ne fait pas disparaître la faute résultant du non-respect des prescriptions du permis de construire, dès lors que la responsabilité du propriétaire est recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil.

 

La Cour d’appel a jugé que le certificat de conformité, dont la légalité n’est pas contestée, atteste de la conformité des travaux au permis de construire du 12 octobre 2001 ; que cette décision administrative que le juge de l’ordre judiciaire ne saurait remettre en cause, prévaut sur les constatations effectuées par les experts judiciaires et apporte la preuve qu’aucune violation des règles d’urbanisme ne saurait être reprochée à Monsieur Y...

 

La Cour de cassation a rejeté cette solution et jugé « Qu’en statuant ainsi, alors que la faute de M. Y..., résultant de la violation d’une règle d’urbanisme et recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil, pouvait être établie par tous moyens, la cour d’ appel a violé le texte susvisé ; »

 

On ne saurait négliger le fait que la Cour d’appel d’Aix en Provence ait pu juger en 2012 qu’une décision administrative comme le certificat de conformité pouvait s’imposer au Juge de l’ordre judiciaire pour mettre à néant les infractions manifestes au permis de construire non relevées par l’auteur du certificat de conformité. C’est investir le fonctionnaire concerné d’un pouvoir absolutoire quasiment religieux, alors que l’absolution judiciaire se borne à dispenser de peine sans effacer la faute.

 

 

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour M. X...

 

Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’AVOIR dit que Monsieur X... ne justifiait d’aucun préjudice personnel à l’appui de sa demande en démolition de l’ouvrage non conforme aux prescriptions du plan d’occupation des sols de la commune de... en ce qui concerne la hauteur des constructions, et rejeté en conséquence sa demande en dommages-intérêts ;

 

AUX MOTIFS PROPRES QUE : « un constructeur engage sa responsabilité délictuelle lorsqu’il édifie un ouvrage en violation d’une règle d’urbanisme et occasionne ainsi un préjudice personnel à un tiers ; que dans le cas présent Monsieur Y... a fait construire une maison d’habitation à..., en vertu d’un permis de construire n° PC8306801XC065 qui lui a été accordé par arrêté du 12 octobre 2001 ; que le chantier a été achevé le 29 mars 2004 ; que le 4 octobre 2004 Monsieur Y... s’es vu accorder le certificat de conformité pour les travaux ayant fait l’objet de ce permis de construire ; que ce certificat de conformité, dont la légalité n’est pas contestée, atteste de la conformité des travaux au permis de construire du 12 octobre 2001 ; que cette décision administrative que le juge de l’ordre judiciaire ne saurait remettre en cause, prévaut sur les constatations effectuées par les experts judiciaires et apporte la preuve qu’aucune violation des règles d’urbanisme ne saurait être reprochée à Monsieur Y... ; qu’en conséquence, en l’absence de faute imputable à Monsieur Y..., ce dernier ne saurait avoir engagée sa responsabilité sur le fondement de l’article 1382 du code civil ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu’il a débouté Monsieur X... de sa demande de dommages et intérêts » ;

 

ET AUX MOTIFS, A LES SUPPOSER ADOPTES DES PREMIERS JUGES, QUE : « il est constant que le fonds de Monsieur X... ne fait pas partie du lotissement auquel appartient celui de Monsieur Y... ; que Monsieur Y... était donc tenu de respecter en sa qualité de propriétaire de la commune les règles d’urbanisme édictées par le plan d’occupation des sols de la commune de... ; qu’il n’est pas contesté par les parties qu’au vu, d’une part, du permis de construire octroyé à Monsieur Ludovic Y... et, d’autre part, du plan d’occupation des sols de la commune de..., la construction litigieuse ne devait pas dépasser une hauteur de 6 mètres au dessus du niveau du sol ; que le rapport d’expertise de Monsieur Jean-Michel A..., géomètre expert, remis le 11 décembre 2007 conclut que « la construction édifiée dépasse légèrement le seuil autorisé par le plan d’occupation des sols de la commune de... et, de la même manière, n’est pas conforme au permis de construire accordé » ; que l’expert a constaté que la hauteur à l’égout du toit dépassait de 34 cm de hauteur autorisée sur l’angle sud est de la maison, de 43 cm sur l’angle sud ouest, et un dépassement de 54 cm pour le faîtage ; qu’en outre, le rapport d’expertise de Monsieur Bernard B..., remis le 25 juin 2004, établissait également que « les cotes de l’égout du toit trouvées aux deux angles de la toiture... font apparaître un dépassement en hauteur respectivement de 0, 54 m et de 0, 44 m » ; que les deux experts missionnés ont donc conclu à un dépassement de la toiture par rapport à la hauteur maximum autorisée sur le fondement de mesures et opérations techniques dont le sérieux et les conclusions ne sont pas remises en cause par l’attestation du constructeur produite par Monsieur Y... non étayée par une mesure technique ou une critique argumentée des opérations menées par les experts judiciaires ; que toutefois, le propriétaire voisin qui se plaint du non-respect d’une règle d’urbanisme doit, pour obtenir la démolition de l’ouvrage, justifier d’un préjudice personnel ; que Monsieur Olivier X... invoque, d’une part, de la perte de vue sur la mer dont il disposait antérieurement et, d’autre part, la perte de valeur de sa propriété résultant de la perte de la vue sur la mer ; que s’agissant de l’évaluation de ce préjudice, l’expert B... a constaté sur deux photographies produites par le demandeur au cours de l’expertise, qu’il existait une gêne à la vue sur le golfe de.... Monsieur A... s’est rendu sur la terrasse de la maison de Monsieur X... et a constaté que : « (..) nous nous sommes rendus sur la terrasse de la maison X..., et avons pu regarder vers la mer et constater que la maison Y... était peu visible. Depuis ce point, le toit de la maison Y... interrompt cependant la ligne d’horizon que M. X... voyait auparavant. Comme nous l’avons dit, cette interruption correspond à 12 degrés de vue environ sur un panorama de 100 degrés environ, soit 10 % de vue occultée, ainsi qu’un angle de vue de moins d’un demi degré (0, 48°) sur un plan vertical, du fait du dépassement de 54 cm de la cote du faîtage au regard de la cote prévue au permis de construire... » ; qu’il a joint à son rapport une photographie de la vue depuis la terrasse de la propriété X... ; que Monsieur X... n’apporte aux débats aucun document ni aucun élément de nature à établir la réalité de la perte de valeur de son bien après la construction de la maison Y... ; qu’en ce qui concerne la vue sur la mer, il convient de noter que les propriétés en litige ne se situent pas en bord de mer mais qu’elles bénéficient d’une vue lointaine sur le golfe de... ; que Monsieur X... ne peut revendiquer une servitude de vue sur la mer qui n’est prévue par aucun texte légal ou conventionnel ; qu’en outre, l’expert judiciaire a déterminé l’amputation de la vue de façon précise qui démontre que cette dernière est légère, le golfe de... étant encore visible depuis la terrasse de Monsieur X..., de même que les collines de SAINT TROPEZ ; que de plus, compte tenu de l’étendue du dépassement, il n’est pas démontré que l’abaissement de la hauteur de la construction Y... supprimerait l’obstacle à la vue décrit par l’expert ; que Monsieur X... ne justifie donc pas d’un préjudice certain en lien avec la faute de Monsieur Y... qui a édifié une construction dont la hauteur dépasse celle autorisée par le règlement d’urbanisme ; que sa demande de démolition et sa demande à titre de dommages-intérêts seront donc rejetées » ;

ALORS 1°) QUE : si le permis de construire régit les rapports du constructeur envers l’administration, qui ne délivre les autorisations, en fonction des dispositions légales et réglementaires applicables, que sous réserve des droits des tiers, la violation de ses dispositions revêt le caractère d’une faute, non seulement à l’égard de l’administration, mais également envers les voisins ; que la délivrance d’un certificat de conformité ne fait pas disparaître la faute résultant du non-respect des prescriptions du permis de construire, dès lors que la responsabilité du propriétaire est recherchée sur le fondement de l’article 1382 du code civil ; qu’en considérant que le certificat de conformité prévalait sur les constatations non contestées des experts judiciaires, selon lesquelles la construction de Monsieur Y... présentait des dépassements de hauteur de respectivement 0, 54 et 0, 44 m par rapport aux règles d’urbanisme prévoyant une hauteur maximum de 6 mètres, la cour d’appel a violé l’article 1382 du code civil ;

ALORS 2°) QUE : le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage, et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit ; qu’en statuant comme elle l’a fait, après avoir expressément constaté que la construction de Monsieur Y... présentait des dépassements de hauteur de respectivement 0, 54 et 0, 44 m, ce dont il résultait que le toit de la maison Y... interrompait la ligne d’horizon et que Monsieur X... subissait de ce fait un préjudice personnel et certain résidant dans une perte de vue de 10 %, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l’article 1382 du code civil, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

06/11/2013