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Responsabilité du copropriétaire Responsabilité d’une association de copropriétaires Actes de dénigrement à l’égard du syndic par
circulaires Diffamation par atteinte à la considération du
syndic (oui) Action en réparation fondée sur l’article 1382 C.
civ. ; bien fondé (non) Incidence de la prescription des actes de
diffamation Cassation
civile 2e 12 décembre 2002 Cassation
sans renvoi. Cour d’appel de
Paris, 1999-10-13 N° de pourvoi :
00-10150 Sur le moyen
relevé d’office, après avis donné aux parties en application de l’article
1015 du nouveau Code de procédure civile : Vu les articles 29
et 32 de la loi du 29 juillet 1881 ; Attendu que les
abus de la liberté d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet
1881 ne peuvent être réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil
; Attendu, selon
l’arrêt attaqué, que l’association Union des propriétaires pour la défense
des Arcs (UPDA) a diffusé entre 1993 et 1998 des lettres circulaires
adressées aux copropriétaires mettant en cause la gestion du syndic de
plusieurs copropriétés, la Société d’administration et de transactions
immobilières (SATI) ; qu’estimant que ces lettres constituaient un
dénigrement de ses services, la SATI et la société Sogire, qui avait racheté
des parts de la SATI, ont assigné, par acte du 26 janvier 1996, l’UPDA et M.
X..., président de cette association, en dommages-intérêts sur le fondement
de l’article 1382 du Code civil ; Attendu que pour
condamner sur ce fondement l’UPDA et M. X... in solidum à payer à la SATI et
à la société Sogire une certaine somme à titre de dommages-intérêts, surseoir
à statuer sur les conséquences pécuniaires des écrits incriminés et ordonner
une expertise, l’arrêt retient que l’UPDA a
diffusé un certain nombre de circulaires dans lesquelles elle met en cause la
SATI en l’accusant de malversations et d’activités illégales, que M. X...,
tantôt sous son propre nom, tantôt conjointement avec l’UPDA, a écrit aux
copropriétaires de différentes résidences des Arcs en mettant en cause la
régularité de l’activité professionnelle de la SATI ; qu’il relève
d’abord une circulaire du 10 avril 1993 faisant mention d’un prochain dépôt
de plainte contre X... pour abus de confiance, abus de biens sociaux, recel
et complicité, notant que la SATI a commis des “manœuvres” pour faite
entériner des charges, puis une circulaire du 10 août 1993 faisant état de
“l’affaire des Arcs” et de l’enquête qui s’en est suivie, ensuite une
circulaire du 18 juin 1994 reprochant à la SATI d’avoir outrepassé son rôle
de syndic, d’être “vendue” à un organisme de vacances, également des
circulaires des 7 janvier et 5 avril 1995 qui prônent le remplacement de la
SATI en indiquant que cela conduirait à des économies importantes sur les
charges, s’interrogent sur la pérennité de la société, prétendent que “de
véritables malversations existent” et que les contrats passés par la SATI
avec des fournisseurs “auraient été prétendument conclus à des montants
prohibitifs” ; que la décision
attaquée mentionne encore une lettre du 21 octobre 1995 adressée par M. X...
aux copropriétaires de diverses résidences des Arcs les mettant en garde
contre la SATI “compte tenu des malversations (...) détectées” et de la
plainte en cours et appelant à une prise de “conscience des risques que (la
copropriété) encourt à reconduire la SARL SATI ou un ersatz de la SATI lors
de la prochaine assemblée générale” ; qu’après avoir
analysé la teneur des circulaires des 28 septembre 1996, 4 novembre 1997 et 5
février 1998, l’arrêt retient que ces propos ont un caractère dénigrant en
tentant de présenter la SATI comme incompétente en matière de gestion de
copropriété, voire malhonnête en transgressant lois et règlements ainsi qu’en
majorant abusivement les frais et charges de copropriété ; Qu’en statuant ainsi
alors que les propos relevés, diffusés auprès de plusieurs copropriétaires de
résidences différentes, imputant à la SATI des faits mettant en cause la
compétence de la société, son honnêteté et l’accusant de transgresser les
lois et règlements, portaient atteinte à la considération de cette société et
constituaient donc des diffamations, la cour d’appel a violé les textes
susvisés ; Et vu l’article
627 du nouveau Code de procédure civile ; Attendu que la
prescription de trois mois édictée par l’article 65 de la loi du 29 juillet
1881, qui n’a pas été interrompue par des actes de poursuite réguliers au
regard des dispositions de cette loi, se trouve acquise, de sorte qu’il ne
reste rien à juger ; PAR CES MOTIFS et
sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi : CASSE ET ANNULE,
dans toutes ses dispositions, l’arrêt rendu le 13 octobre 1999, entre les
parties, par la cour d’appel de Paris ; DIT n’y avoir lieu
à renvoi ; DECLARE l’action prescrite ; Condamne les
sociétés Alfaga SATI et Sogire aux dépens exposés tant devant les juges du
fond que devant la Cour de Cassation ; Vu l’article 700
du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Alfaga
SATI, venant aux droits de la société SATI, et de la société Sogire ; Commentaires : Nous rappelons préalablement les grands traits du régime juridique de la diffamation et de l’injure, tel qu’il résulte de la loi sur la presse du 29 juillet 1881. Nous commenterons ensuite l’arrêt relaté ci-dessus Le régime de la loi sur la
presse (diffamation et injures publiques) Les délits distincts de diffamation et injures contre les personnes sont définis par l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse. Il est inclus dans le chapitre IV dont il n’est pas vain de rappeler le titre : « des crimes et délits commis par la voie de la presse ou par tout autre moyen de publication ». L’article 29 alinéa 1 traite de la diffamation : « Toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation. « La publication directe ou par voie de reproduction de cette allégation ou de cette imputation est punissable, même si elle est faite sous forme dubitative ou si elle vise une personne ou un corps non expressément nommés, mais dont l’identification est rendue possible par les termes des discours, cris, menaces, écrits ou imprimés, placards ou affiches incriminés. » Les éléments de l’incrimination sont : - L’allégation d’un fait précis ; - La mise en cause d’une personne déterminée qui, même si elle n’est pas expressément nommée, peut être clairement identifiée ; - L’atteinte à l’honneur ou à la considération ; - Le caractère public de la diffamation. Un fait
précis ? Dire que la comptabilité du syndicat est mal tenue, c’est une
critique générale. Dire qu’une écriture comptable déterminée a été sciemment
omise, c’est un fait précis. Le caractère public
de la diffamation ? Il s’agit d’abord de la diffamation par la voie de
la presse. Que faut-il entendre ensuite par « toute autre
publication » ? Certainement les différents moyens médiatiques y
compris Internet. Mais ensuite ? Une assemblée de
copropriété n’est pas une réunion publique. Elle peut réunir un grand nombre
de personnes mais c’est un cercle privé, nonobstant la présence de
mandataires étrangers au syndicat. Qu’en est-il pour la
diffusion d’une lettre circulaire ? Elle n’est adressée qu’à des
personnes membres du syndicat. Un bulletin associatif destiné aux
membres d'une association n'est pas en principe concerné mais si il est
distribué librement sur un marché ou tout autre lieu public il tombe sous le
coup de la loi Dès lors que la
matérialité de l’allégation est établie, son auteur est, en vertu de
l’article 35 bis, présumé avoir agi avec une intention coupable. Il peut se libérer
de cette présomption en invoquant sa bonne foi. Il doit à cet effet
prouver : - sa sincérité : il disposait d’éléments suffisants
pour croire à la vérité des faits relatés ; - la poursuite d’un but légitime : les propos
visaient à informer et non à nuire ; - la proportionnalité du but poursuivi et du dommage
causé ; - le respect d’une certaine prudence. Il peut aussi soulever l’exception de vérité dans un
délai de dix jours. Le délai est court parce qu’on doit considérer que
l’auteur disposait des éléments nécessaires avant de « publier »
ses allégations. Notons de plus que
l’exception de vérité est irrecevable : - quand les faits touchent la vie privée de la
personne ; - quand l’imputation se réfère à une infraction
amnistiée ou prescrite ; - quand les faits remontent à plus de 10 ans (les moyens de preuve n’étant pas fiables). Il doit prouver - La vérité des faits allégués - Ou la poursuite d'un but légitime, le propos visant à informer et non à nuire L’article 29 alinéa 2 traite de l’injure « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait est une injure. » L’injure publique envers un particulier est un délit. L’injure privée est une contravention. Les éléments de
l’incrimination sont : - la désignation d’une ou plusieurs personne(s) déterminée(s) clairement
identifiée(s) ; - l’intention
coupable ; - un élément de publicité
pour l’injure publique - des propos injurieux
ou outrageants :
la nature de propos proférés conditionnera la qualification d’injure. L’exception de vérité n’est pas concevable car l’injure ne repose sur aucun fait. L’auteur
ne peut invoquer ici que l’excuse de provocation prévue par l’article 33. La provocation est un « fait accompli volontairement par la
personne injuriée, de nature à expliquer l’injure ». La jurisprudence
considère toutefois que, « l’injure n’est excusable pour cause de
provocation que lorsque celui qui a proféré ladite injure peut être
raisonnablement considéré comme se trouvant encore sous le coup de l’émotion
que cette provocation a pu lui causer ». Il faut donc un lien direct
entre la provocation et l’injure. Pour autant la jurisprudence n’exige pas la
concomitance entre l’attaque et la riposte. La qualification de la provocation relève de l’appréciation souveraine du juge. Ces textes conçus pour les délits de presse ont
l’inconvénient d’être applicables aux diffamations et injures publiées par
des moyens autres que la presse. Il en résulte que les actions judiciaires
engagées par les victimes sont soumises aux règles procédurales très strictes
de ce régime et notamment à la courte prescription de trois mois prévue
jusqu’à la réforme Perben II. Depuis le 9 mars 2004, la Loi Perben II instaure un délai de prescription d’un an à compter de
la première publication dans certains cas. Les juristes les plus avertis hésitent fréquemment sur la qualification qu’il y a lieu de donner aux propos tenus par l’auteur et aux moyens de diffusion qu’il a utilisés. La prudence les conduit alors à fonder l’action en réparation du préjudice subi sur l’article 1382 du Code civil. Les dispositions de la loi sur la presse relatives à la prescription sont désormais les suivantes : Article 65 Modifié par Loi n°93-2
du 4 janvier 1993 art. 52 L'action publique
et l'action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par
la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où
ils auront été commis ou du jour du dernier acte d'instruction ou de
poursuite s'il en a été fait. Toutefois, avant
l'engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d'enquête
seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de
nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et
injures à raison desquels l'enquête est ordonnée. Les prescriptions
commencées à l'époque de la publication de la présente loi, et pour
lesquelles il faudrait encore, suivant les lois existantes, plus de trois
mois à compter de la même époque, seront, par ce laps de trois mois,
définitivement accomplies. Article 65-1 Créé par Loi n°93-2
du 4 janvier 1993 art. 53 Les actions fondées
sur une atteinte au respect de la présomption d'innocence commise par l'un
des moyens visés à l'article 23 se prescriront après trois mois révolus à
compter du jour de l'acte de publicité. Article 65-2 Créé par Loi n°93-2 du
4 janvier 1993 art. 52 En cas d'imputation
portant sur un fait susceptible de revêtir une qualification pénale, le délai
de prescription prévu par l'article 65 est réouvert ou court à nouveau, au
profit de la personne visée, à compter du jour où est devenue définitive une
décision pénale intervenue sur ces faits et ne la mettant pas en cause. Article 65-3 Créé par Loi
n°2004-204 du 9 mars 2004 art. 45 Pour les délits
prévus par le huitième alinéa de l'article 24, l'article 24 bis, le deuxième
alinéa de l'article 32 et le troisième alinéa de l'article 33, le délai de
prescription prévu par l'article 65 est porté à un an. L’arrêt du 12 décembre 2002 L’arrêt relaté
confirme en tant que de besoin une règle qui favorise d’une certaine manière
les auteurs de propos diffamatoires : « Les abus de la liberté
d’expression prévus et réprimés par la loi du 29 juillet 1881 ne peuvent être
réparés sur le fondement de l’article 1382 du Code civil. » En l’espèce l’association Union des propriétaires pour la défense des Arcs (UPDA) a diffusé entre 1993 et 1998 des lettres circulaires adressées aux copropriétaires mettant en cause la gestion du syndic de plusieurs copropriétés. M. X..., tantôt sous son propre nom, tantôt conjointement avec l’UPDA, a écrit aux copropriétaires de différentes résidences des Arcs en mettant en cause la régularité de l’activité professionnelle de la SATI ; qu’il relève d’abord une circulaire du 10 avril 1993 faisant mention d’un prochain dépôt de plainte contre X... pour abus de confiance, abus de biens sociaux, recel et complicité, notant que la SATI a commis des “manœuvres” pour faite entériner des charges, puis une circulaire du 10 août 1993 faisant état de “l’affaire des Arcs” et de l’enquête qui s’en est suivie, ensuite une circulaire du 18 juin 1994 reprochant à la SATI d’avoir outrepassé son rôle de syndic, d’être “vendue” à un organisme de vacances, également des circulaires des 7 janvier et 5 avril 1995 qui prônent le remplacement de la SATI en indiquant que cela conduirait à des économies importantes sur les charges, s’interrogent sur la pérennité de la société, prétendent que “de véritables malversations existent” et que les contrats passés par la SATI avec des fournisseurs “auraient été prétendument conclus à des montants prohibitifs” ; L’arrêt d’appel retient que ces propos ont un caractère dénigrant en tentant de présenter la SATI comme incompétente en matière de gestion de copropriété, voire malhonnête en transgressant lois et règlements ainsi qu’en majorant abusivement les frais et charges de copropriété ; Sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, il a condamné l’UPDA et M. X... in solidum à
payer à la SATI et à la société Sogire une certaine somme à titre de
dommages-intérêts, sursis à statuer sur les conséquences pécuniaires des
écrits incriminés et ordonné une expertise. La Cour de cassation juge qu’en « statuant ainsi alors que les propos relevés, diffusés auprès de plusieurs copropriétaires de résidences différentes, imputant à la SATI des faits mettant en cause la compétence de la société, son honnêteté et l’accusant de transgresser les lois et règlements, portaient atteinte à la considération de cette société et constituaient donc des diffamations, la cour d’appel a violé les textes susvisés » [articles 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881] Elle constate en outre « que la prescription de trois mois édictée par l’article 65 de la loi
du 29 juillet 1881, qui n’a pas été interrompue par des actes de poursuite
réguliers au regard des dispositions de cette loi, se trouve acquise, de
sorte qu’il ne reste rien à juger ». L’expérience
montre que dans bien des cas, les diffamateurs ainsi blanchis se prévalent de
la décision judiciaire pour prétendre avoir gagné leur procès et confirmer
d’une certaine manière leurs accusations. Or il y a bien eu diffamation mais
l’auteur a été sauvé par un artifice de procédure ou, - ce qui est fréquent
et regrettable -, par une bévue de l’avocat de la victime. |
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