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résidences-services

extension de l’objet du syndicat  légalité (oui)

charges des services ; charges de copropriété (oui)

répartition en fonction de l’article L 10 alinéa 1 (oui)

 

Cassation civile 3e  10 mars 1993                                                                                                                                             Rejet

(Cour d’appel d’Aix-en-Provence, 16-10-1990

N° de pourvoi : 91-12717

 

 

Sur le moyen unique :

 

Attendu que Mme Jacquet, aux droits de sa mère décédée, propriétaire d’un lot dans la résidence Riviéra IIfait grief à l’arrêt attaqué (Aix-en-Provence 16 octobre 1990) de la condamner au paiement des charges afférentes aux services collectifs de la résidence, conçue comme une “ unité-retraite “, qu’elle n’a elle-même jamais habitée, alors, selon le moyen, que 1°) l’article 10, alinéa l, de la loi du 10 juillet 1965 prescrit que “ les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun en fonction de l’utilité que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot “, que la cour d’appel, qui constate que les services de restauration et de soins supportés par les copropriétaires au titre des charges communes sont établis non dans l’intérêt des lots mais dans l’intérêt personnel de chaque copropriétaire, a, en estimant que les dépenses entraînées par le fonctionnement de ces services constituaient des charges de copropriété, violé l’article 10, alinéa l, de la loi du l0 juillet 1965 ; 2°) que, selon l’article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, d’ordre public, le syndicat des copropriétaires a pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes et non celui de gérer des activités de restauration et de soins médicaux ou paramédicaux ; que la cour d’appel, en estimant que les charges entraînées par le fonctionnement de ces services constituaient des charges de copropriété entrant dans l’objet du syndicat, a violé l’article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965 ;

 

Mais attendu, d’une part, que les dispositions de l’article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, n’excluent pas la mise en place de services collectifs et d’équipement commun destinés à assurer la jouissance de l’immeuble en fonction de la destination de celui-ci et qu’aucune disposition légale ne limite à cet égard la nature de ces services et équipements ;

 

Attendu, d’autre part, que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en retenant exactement que selon l’article 10, alinéa ler, de la loi du 10 juillet 1965, les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun en fonction de l’utilité que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot, indépendamment de l’utilisation effective par les copropriétaires de ces services et équipements et en relevant que la destination de la résidence Riviera II est d’être occupée par des retraités dans des studios où ils peuvent bénéficier de nombreux services et prestations, définis par le règlement de copropriété et répartis en fonction des quotes-parts de chaque lot dans les parties communes ;

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE le pourvoi.

 

 

COMMENTAIRES :

 

L’arrêt relaté consolide sensiblement les fondations du régime des résidences-services en copropriété. Ce régime est, en l’état,  l’œuvre exclusive des praticiens.

 

La Cour d’appel d’Aix en Provence avait été saisie d’une demande en paiement de charges de copropriété formée à l’encontre des héritiers de Mme Jacquet, en son vivant propriétaire d’un lot d’une résidence-retraite « qu’elle n’a elle-même jamais habitée ».

Pour échapper au paiement de ces charges, les héritiers soutenaient :

·         que les services de restauration et de soins supportés par les copropriétaires au titre des charges communes sont établis non dans l’intérêt des lots mais dans l’intérêt personnel de chaque copropriétaire et que les frais afférents ne pouvaient être considérés comme des charges de copropriété ;

·         que le syndicat des copropriétaires a pour objet la conservation de l’immeuble et l’administration des parties communes et non celui de gérer des activités de restauration et des soins médicaux ou paramédicaux.

 

Rappelons, pour éclairer le débat, qu’aux termes de l’article 10 alinéa 1 les charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun sont réparties en fonction de l’utilité que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot.

Les héritiers souhaitaient donc faire juger qu’on ne peut entendre par charges de copropriété que les dépenses qui présentent une utilité à l’égard des lots et que les dépenses qui présentent une utilité à l’égard des personnes propriétaires des lots (ou leurs ayants droit) ne sont pas des charges de copropriété.

On conçoit intuitivement que ce raisonnement est fondamentalement vicieux. Mais le juriste ne se contente pas d’une donnée intuitive. Il faut donc approfondir la question.

 

Un immeuble dont la propriété est divisée par lots n’est pas un immeuble en copropriété. Pour qu’il soit assujetti à ce régime, il faut de plus que la propriété soit divisée entre plusieurs personnes. Les personnes copropriétaires sont donc au cœur de l’institution qui n’a pour seule raison d’être que la satisfaction de leurs besoins et désirs. Les services de la copropriété ne présentent d’utilité que pour les personnes propriétaires ou celles à qui elles confèrent un droit d’usage du lot qui leur appartient.

 

Le fonctionnement de l’institution exige une organisation fixe et cohérente de la contribution aux dépenses communes. Établie ad perpetuum lors de la rédaction du règlement de copropriété, elle ne peut prendre en considération les exigences différentes des propriétaires qui se succéderont dans les lots. Il est donc nécessaire d’estimer une fois pour toutes, et pour chacun des lots, l’utilité raisonnable, à l’égard d’un propriétaire idéal, de chacun des éléments d’équipement et services liés. On peut alors parler de l’utilité à l’égard du lot qui est sans nul doute une fiction technique.

Le mécanisme est affiné par l’utilisation de systèmes de comptage pour les services qui peuvent en être dotés. Les charges sont alors réparties en fonction de l’utilisation effective du service.

L’organisation de la répartition des charges est parfaite lorsque ces deux mécanismes de répartition sont combinés. Pour le chauffage, les dépenses relatives au matériel sont réparties au prorata de l’utilité théorique pour le lot tandis que les dépenses de combustibles sont réparties en fonction de la consommation décomptée.

Il n’y a donc pas de différence fondamentale entre l’utilité à l’égard d’une personne réelle et l’utilité à l’égard du lot, critère prédéterminé d’utilité à l’égard d’une  personne idéale.

 

L’argument tiré de l’illégalité de l’extension de l’objet du syndicat semble a priori plus solide. Ce n’est pourtant qu’une apparence trompeuse.

Il est de fait que l’article L 14 est muet à propos des services. Commentant l’arrêt relaté,  le Professeur Giverdon [1]  évoque « la nécessité de pallier l’inadaptation des textes aux réalités nouvelles ». Il pensait alors, sans aucun doute, à la notion de résidences-services, nouveauté juridico-économique. Il fallait ici pallier une lacune évidente du texte, puisque les services existent bel et bien dans une copropriété. La solution s’imposait aux Juges d’étendre à la gestion des services l’objet du syndicat, sans qu’il faille trop s’interroger sur l’utilisation de l’interprétation de la loi par « la libre recherche scientifique », prônée par le doyen Geny et évoquée par M. Giverdon, ou celle de l’interprétation métatextuelle, suggérée par les juristes plus récents.

Il suffisait alors de constater que les services litigieux avaient bien été créés par le règlement de copropriété en conformité avec la destination de l’immeuble.

 

Sur ces deux points, la Cour de cassation approuve pleinement l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence :

« Mais attendu, d’une part, que les dispositions de l’article 14, alinéa 4, de la loi du 10 juillet 1965, n’excluent pas la mise en place de services collectifs et d’équipement commun destinés à assurer la jouissance de l’immeuble en fonction de la destination de celui-ci et qu’aucune disposition légale ne limite à cet égard la nature de ces services et équipements ;

« Attendu, d’autre part, que la cour d’appel a légalement justifié sa décision en retenant exactement que selon l’article 10, alinéa 1er , de la loi du 10 juillet 1965, les copropriétaires sont tenus de participer aux charges entraînées par les services collectifs et les éléments d’équipement commun en fonction de l’utilité que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot, indépendamment de l’utilisation effective par les copropriétaires de ces services et équipements et en relevant que la destination de la résidence Riviera II est d’être occupée par des retraités dans des studios où ils peuvent bénéficier de nombreux services et prestations, définis par le règlement de copropriété et répartis en fonction des quotes-parts de chaque lot dans les parties communes ; »

 

Après avoir constaté cette consolidation du régime des résidences-services, le Professeur Giverdon estime qu’une analyse plus approfondie aurait pu justifier la cassation de l’arrêt. Elle aurait pu, selon lui, porter sur les notions de destination de l’immeuble, d’une part, et d’utilité à l’égard du lot d’autre part. Il estime que la solution admise par la Cour de cassation impose à ces deux notions une subjectivité incompatible avec l’objectivité que leur confère le statut de la copropriété.

 

S’agissant de la destination, il écrit  : « Pour autant que l’on puisse cerner [la destination de l’immeuble], il semble qu’il n’est guère discutable qu’elle est une notion objective. L’article 8, alinéa 2, la présente comme définie aux actes par les caractères et la situation de l’immeuble. Ce qui a trait à la condition de ses occupants est donc, a priori, exclu par ces références »

 

La destination de l’immeuble, maintes fois citée dans les textes du statut de la copropriété, n’y est pas définie ! Il faut reprendre les  travaux préparatoires de la loi du 10 juillet 1965 pour en trouver une définition claire, sous la plume de M. Foyer, à l’époque Garde des Sceaux :

« Elle désigne l’ensemble des conditions en vue desquelles un copropriétaire a acquis sont lot, compte tenu des divers éléments, notamment de l’ensemble des clauses des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l’immeuble ainsi que de la situation sociale de ses occupants ».

La destination se présente ainsi comme une notion incontestablement subjective. Elle le reste si l’on admet que tous les copropriétaires de l’immeuble ont éprouvé le même sentiment et qu’ainsi la destination de cet immeuble a été la cause, commune à tous les copropriétaires, de l’intention qu’ils ont eue d’en acquérir un lot.

Le projet de loi ainsi présenté par M. Foyer la définit en son article 5  :

«  Toute limitation, dans les contrats et règlements de copropriété, des droits qui résultent pour chaque intéressé de sa qualité de copropriétaire, est nulle s’il n’est pas établi qu’elle est justifiée par la destination de l’immeuble, telle qu’elle résulte desdits contrats et règlements ainsi que des caractéristiques et de la situation de l’immeuble ».

En écho, l’article L 8 de la loi finalement adoptée dispose : « Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l’immeuble, telle qu’elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ».

La règle commentée par le Garde des sceaux n’a pas été modifiée depuis lors.

 

M. Giverdon se trouve ainsi en contradiction frontale avec les intentions claires du législateur !

Si le juge doit, pour apprécier la destination de l’immeuble, se référer aux actes, à ses caractères ou à sa situation, cela n’est pas pour en tirer directement une conclusion, mais bien pour rechercher la cause commune à tous les copropriétaires de leurs acquisitions respectives. Cette recherche de la commune intention des parties, imposée par l’interprétation des contrats et des conventions, - comme c’est ici le cas -, est bien une recherche d’ordre subjectif.

Faut-il ajouter que le texte comporte trois éléments pour l’appréciation de la destination :

·         la définition aux actes. M. Foyer parlait de « l’ensemble des clauses des documents contractuels ». Le projet de loi mentionnait « [la destination] telle qu’elle résulte desdits contrats et règlements »

·         les caractères de l’immeuble

·         la situation de l’immeuble

On n’en trouve plus que deux dans le texte du Professeur Giverdon : « L’article 8, alinéa 2, la présente comme définie aux actes par les caractères et la situation de l’immeuble. » Une virgule, présente ou absente, bouleverse le texte. Elle est présente dans le texte de la loi.

 

A l’appui de son propos, il invoque la condamnation des clauses de non concurrence par la Cour de cassation, faisant remarquer que la motivation est que ces clauses, inspirées du souci de protéger des intérêts particuliers, sont « étrangères à la destination de l’immeuble ». C’est l’avis, respectable, de la Cour de cassation, mais la vérité est contraire. A tort ou à raison, ces clauses avaient pour objet de protéger la tranquillité de la communauté immobilière en prévenant les zizanies entre concurrents. En ce sens elles répondaient à un souci commun aux copropriétaires et se présentaient comme naturellement subjectives.

Il en tire, à propos des résidences-services -, la conclusion suivante : « Lorsque, par conséquent, une destination est uniquement fondée par le souci de mettre en place des services et des équipements pour le bénéfice d’une catégorie d’occupants, on peut se demander si cette destination est bien celle des principes directeurs du statut de la copropriété tel que le fixe la loi. Ce statut, en effet, s’applique à un immeuble dont la structure est objectivement définie, ce que traduit d’ailleurs l’article 5 qui, pour la détermination de la quote-part des parties communes affectées à chacun des lots (et du même coup des charges générales) interdit que l’on prenne en considération leur utilisation ».

Or s’il est un exemple frappant de la commune intention des copropriétaires, c’est bien celui des résidences-services. Tous les copropriétaires ont acquis un lot pour des raisons purement subjectives, ayant apprécié les clauses du règlement de copropriété définissant les services offerts, l’agrément de l’immeuble, sa situation, etc.

Et pour la référence à l’article 5, ce n’est pas la destination de l’immeuble qui est en cause, mais bien celle du lot. Il s’agissait simplement d’éviter la pratique courante de la majoration, ou au contraire de la minoration des quotes-parts de charges.

 

Pour ce qui est du lot et de l’utilité à son égard, Le professeur Giverdon écrit  : « c’est aussi introduire la subjectivité dans la notion de lot que de fonder sur le critère de l’utilité que présente à l’égard de chaque lot, la base de répartition des services et prestations spécifiques aux résidences du troisième âge. Dès lors que ces services et prestations  sont présentés comme devant bénéficier à des retraités, donc à des personnes ; il n’est pas possible de parler d’utilité objective. Ou, si on l’admet, on introduit dans la notion de lot un nouveau paramètre dont il n’est pas sûr qu’il soit conforme à la conception que s’en fait la loi du 10 juillet 1965 ».

Nous avons montré plus haut qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre l’utilité à l’égard d’une personne réelle et l’utilité à l’égard du lot, critère prédéterminé d’utilité à l’égard d’une  personne idéale. Il est bien évident qu’une copropriété est faite pour des personnes et pour leur utilité en tous ses éléments.

On ne peut enfin négliger que l’expérience a montré, - depuis plusieurs siècles pour ce qui est des institutions collectives rurales -, que l’utilité prise comme critère de répartition de frais collectifs entre plusieurs personnes n’est pas sérieusement quantifiable et que la notion juridique d’utilité est un artifice technique renvoyant par nécessité à une base matériellement mesurable comme la superficie des parcelles ou la longueur des façades.

 

Il est donc bien certain que les résidences-services, sur ces points, ne présentent aucun particularisme justifiant une interprétation spécifique des dispositions du statut de la copropriété.

 

Note 07/07/2006 :

Dans son commentaire, le Professeur Giverdon notait : « C’est bien au contraire, l’appel  au législateur que l’on perçoit au-delà des attendus de l’arrêt ici évoqué »

Le vœu de l’éminent auteur a été exaucé par la loi « Engagement national pour le logement » qui comporte l’insertion d’une amorce de statut légal des résidences-services dans la loi du 10 juillet 1965.

Sur les points évoqués, le statut légal conforte les solutions de l’arrêt relaté.

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

08/07/2006

 

 



[1] Loyers et copropriété avril 1993 Chronique p.1