Contrat de franchise

Local d’exploitation fourni par le franchiseur

Prix de vente imposés par le franchiseur

Requalification en contrat de travail (art. L. 781-1, 2 du Code du travail)

 

 

 

Cassation sociale    8 février 2005                                                         Rejet

Cour d’appel de Nîmes (chambre sociale) 20-12-2002

N° de pourvoi : 03-40731

 

Sur le moyen unique :

 

Attendu que Mme X... a conclu le 17 mai 1988 avec la société laboratoires de biologie végétale Yves Rocher (Yves Rocher) un contrat de franchise d’une durée de cinq années pour la distribution des produits de cette marque ; que le magasin qu’elle exploitait ayant été transféré en 1993 dans de nouveaux locaux appartenant à une filiale de la société Yves Rocher, Mme X... est devenue en 1995 gérante libre du fonds de vente de produits de beauté et de soins de la société Yves Rocher, exploité en ce lieu, les marchandises proposées à la vente lui étant alors fournies en dépôt, avec mandat de les vendre et de remettre le produit de la vente à la société Yves Rocher, propriétaire du fonds loué ; qu’après un nouveau changement de local, fourni par la société Yves Rocher, celle-ci a résilié au mois de mai 2000 le contrat de gérance libre, avec effet au 15 juillet suivant ; que Mme X... a saisi le juge prud’homal de demandes en paiement de salaires, d’indemnités de rupture et de dommages-intérêts, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

 

Attendu que la société Yves Rocher fait grief à l’arrêt attaqué (Nîmes, 20 décembre 2002) d’avoir dit que les dispositions du Code du travail étaient applicables à Mme X... et que le juge prud’homal était compétent pour connaître des demandes de cette dernière, en renvoyant la cause et les parties devant le conseil de prud’hommes alors, selon le moyen :

 

1 / qu’en se bornant à relever que les contrats passés par la société Yves Rocher avec Mme X... “avaient pour objet de vendre des produits de beauté et des soins esthétiques”, ce dont il ne résulte pas que la profession de cette dernière ait consisté essentiellement dans la vente de marchandises et de denrées fournies exclusivement ou presque exclusivement par la société, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 781-1, 2 du Code du travail ;

 

2 / qu’en s’abstenant de toute explication et précision quant aux conditions d’exercice par Mme X... de son activité, autres que celles relatives à l’agencement du magasin et au prix des produits, bien que la société Yves Rocher ait soutenu dans ses conclusions que Mme X... conservait la responsabilité exclusive de sa gestion et des résultats de son exploitation, qu’elle affectait comme bon lui semblait, qu’elle tenait seule ses livres de comptabilité et respectait les obligations légales et réglementaires qui lui incombaient, qu’aucune clause ne limitait sa liberté de choix des membres de son personnel, ni ne la liait aux horaires d’ouverture et aux jours de congés, la cour d’appel, d’une part, n’a pas répondu aux conclusions de la société et a ainsi violé l’article 455 du nouveau Code de procédure civile, d’autre part, en tout état de cause, n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 781-1, 2 du Code du travail ;

 

3 / qu’en se bornant à relever que Mme X... était dans l’impossibilité de pratiquer une politique personnelle de prix, sans qu’il résulte de ses énonciations que celle-ci ait été tenue de se conformer aux prix imposés par la société Yves Rocher et sans s’expliquer sur l’importance ou la faiblesse de la marge résultant de la commission dont elle bénéficiait, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article L. 781-1, 2 du Code du travail ;

 

 

Mais attendu qu’aux termes de l’article L. 781-1, 2 du Code du travail, les dispositions de ce Code qui visent les apprentis, ouvriers, employés et travailleurs sont applicables aux personnes dont la profession consiste essentiellement à vendre des marchandises ou denrées de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise industrielle ou commerciale, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par ladite entreprise ; qu’il résulte de ce texte que dès lors que les conditions sus-énoncées sont, en fait, réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du Code du travail sont applicables, sans qu’il soit besoin d’établir l’existence d’un lien de subordination ;

 

Et attendu que la cour d’appel, qui n’était pas tenue d’effectuer la recherche visée dans la deuxième branche du moyen, a retenu que Mme X..., qui exerçait en dernier lieu son activité dans des locaux fournis par la société Yves Rocher et exploités sous l’enseigne “Centre de beauté Yves Rocher”, assurait essentiellement dans ce magasin la vente au public des marchandises que la société Yves Rocher, son seul fournisseur, lui confiait en dépôt, que les conditions d’exercice de cette activité étaient définies par le fournisseur et que sa contractante ne disposait plus de la liberté de fixer le prix de vente des marchandises déposées ; qu’elle a, par ces seuls motifs et sans encourir les griefs du moyen, légalement justifié sa décision ;

 

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

 

Condamne la société Laboratoires Yves Rocher aux dépens ;

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de Mme X... ;

 

 

 

COMMENTAIRE :

 

Les décisions judiciaires disqualifiant des contrats de franchise se multiplient. L’arrêt relaté ci dessus montre que la Cour de cassation n’hésite pas à les valider. Il ne concerne pas les activités des professionnels immobiliers mais on trouve également des franchises dans cette branche et, mutatis mutandis, ce courant nouveau de la jurisprudence pourrait y trouver application.

 

Nous rappelons brièvement les éléments principaux du mécanisme traditionnel de la franchise : en contrepartie d’un droit d’entrée dans le réseau de franchise, le franchisé  acquiert auprès du franchiseur, le droit d'utiliser son enseigne et/ou sa marque, son savoir-faire, de commercialiser ses produits ou services, conformément aux directives prévues dans le contrat. Le franchiseur doit par ailleurs apporter au franchisé, pendant la durée du contrat, une assistance commerciale ou technique.

Dans le cas de mise à disposition du franchisé d’un nom commercial, d’une marque ou enseigne assortie d’un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité, le franchiseur doit fournir au candidat une information préalable sur son entreprise et son réseau ainsi qu’un projet de contrat ou de pré-contrat (loi du 31 décembre 1989 dite « loi Doubin ») 

Le projet de contrat comporte notamment les clauses relatives :

·        aux produits ou services distribués.

·        aux modalités de transmission du savoir-faire. La transmission du savoir-faire du franchiseur dans le domaine des activités prévues est un élément essentiel du contrat de franchise.

·        aux qualités juridiques des marques et enseignes.

·        à la durée du contrat (modalités de renouvellement et de résiliation éventuelle)

·        au contenu et à la portée des exclusivités stipulées

·        aux obligations respectives des parties

Les obligations du franchiseur portent essentiellement sur l’assistance qu’il doit apporter au franchisé tant initialement que pendant la durée du contrat.

Celles du franchisé portent sur

·        L’exclusivité d’approvisionnement

·        L’interdiction de concurrencer l’activité du franchiseur

·        Le respect des consignes données par le franchiseur pour la sauvegarde de l'image de marque du produit et du réseau et des clauses relatives au contenu et là la portée des exclusivités.

·        Les modalités de détermination des prix de vente.

·        Les conditions financières du contrat : droit d’entrée, royalties sur le chiffre d’affaires et contribution aux frais des actions commerciales ou moyens mutualisés.

·        Les modalités de transmission de l'affaire du franchisé. A cet égard le contrat de franchise est conclu intuitu personae. Le contrat peut prévoir un agrément préalable de l’acquéreur par le franchiseur.

 

Pour le reste, Le franchisé est un commerçant indépendant. Il doit informer la clientèle de cette indépendance.

 

Ce mécanisme juridique particulier s’est grippé peu à peu. L’organisation de certains réseaux de franchises n’est plus conforme aux normes initiales. Les franchisés, dans ces cas, sont purement et simplement aux ordres du franchiseur, sans bénéficier de la liberté d’exploitation que peut exiger un commerçant ou un professionnel quelconque, serait-il assisté.

En l’espèce la Cour de cassation relève en premier lieu que le local commercial a été fourni par le franchiseur. La Cour de cassation exprime que la nécessité d’un simple « agrément du franchiseur » serait une exigence coupable. C’est sans doute aller un peu loin car il semble admissible que le franchiseur s’oppose à une installation dans un quartier mal famé ou réputé peut favorable à l’activité exercée.

Elle relève en second lieu que le franchiseur est le fournisseur exclusif du franchisé. C’est encore une privation de liberté mais, seule, elle ne suffirait sans doute pas à priver le contrat de franchise de validité. L’exclusivité d’approvisionnement vient ici à l’appui du raisonnement de la Cour de cassation mais elle est une pratique courante de la franchise.

Enfin la Cour de cassation relève que le franchisé n’est pas libre de sa tarification. C’est un vice primordial. C’est pourquoi la plupart des réseaux mentionnent dans les contrats de franchise l’existence de prix  « indicatifs », « suggérés » ou « proposés ». Il importe peu alors que les franchisés s’en tiennent strictement aux indications et suggestions.

 

En l’espèce la franchisée avait ensuite exercé la même activité dans le cadre théorique d’une gérance libre. Le gérant libre est aussi un exploitant indépendant. Ayant reçu notification de la résiliation de ce contrat de gérance libre, elle a assigné, avec succès, la société partenaire pour faire reconnaître son statut de salariée. L’article L. 781-1, 2 du Code du travail ouvrait effectivement un large boulevard à ses prétentions, sans qu’il soit nécessaire de rechercher l’existence d’un lien de subordination. Il est inutile d’insister ici sur l’importance des effets juridiques et financiers de cette requalification du contrat.

 

Les juridictions du fond ont déjà imposé un certain nombre de conversions identiques et les franchiseurs vont devoir veiller à ne pas tenter de contourner les dispositions du Code du Travail en utilisant abusivement le mécanisme de la franchise.

 

L’administration fiscale dispose également d’un droit de disqualification du contrat. Depuis la loi de finances pour 2000, les entreprises franchisées créées dans une zone prioritaire en matière d’aménagement du territoire bénéficient d’avantages fiscaux. L’administration peut les remettre en cause si elle peut prouver qu’il existe une réelle dépendance économique entre le franchisé et le franchiseur.  Elle doit alors, après examen du contrat et des pratiques courantes entre les intéressés, se prévaloir des clauses relatives : au droit d’utilisation d’éléments incorporels, aux contraintes imposées pour les approvisionnements et aux modalités de gestion administrative (loi de finances pour 2000 n° 99-1172 du 30 décembre 1999).

 

 

Le mécanisme de la franchise s’est développé dans le secteur des activités immobilières. Il est particulièrement ouvert à la pratique de la franchise. La formation professionnelle, la mutualisation des moyens, la publicité collective peuvent aider de jeunes professionnels non encore aguerris à démarrer une carrière dans les différentes branches de l’immobilier : transactions, gestion locative et administration de copropriétés. L’obligation de présenter aux syndicats de copropriétaires un modèle type de contrat de syndic comportant une tarification imposée des prestations exceptionnelles pourrait, entre autres, être une cause de disqualification du contrat de franchise. Il en serait de même pour l’obligation de dépôt des fonds de mandants dans les livres d’une banque imposée.

C’est pourquoi il nous a semblé intéressant de signaler cette décision de la Cour de cassation qui se présente comme un coup de semonce pour un meilleur encadrement de la franchise.

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

10/11/2006