043608

 

 

Règlement de copropriété

Clause réputée non écrite

Action tendant à la constatation du caractère non écrit

Prescription de l’article 42 (non) 

Prescription trentenaire ?  Imprescriptibilité ?

 

 

 

Cassation civile 3e  7 mai 2008   Cassation partielle

Cour d’appel de Lyon du 30 mars 2006

N° de pourvoi: 07-13409

 

 

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Lyon, 30 mars 2006), que Mme X..., propriétaire d’un lot de copropriété dans le bâtiment A, a assigné la société civile immobilière Tête d’Or (la SCI Tête d’Or), propriétaire du lot n° 101 composé de l’entier bâtiment B et de la cour, et le syndicat des copropriétaires des immeubles 76 rue Eugène Pons, 37 rue Joséphin Soulary et 7-9 rue Mascrany à Lyon, pour obtenir l’annulation de certaines clauses du règlement de copropriété et le respect d’autres clauses ;

 

 

Sur le premier moyen :

 

Vu l’article 42, alinéa 1er, de la loi du 10 juillet 1965, ensemble l’article 43 de cette loi ;

 

Attendu que sans préjudice de l’application des textes spéciaux fixant des délais plus courts, les actions personnelles nées de l’application de la présente loi entre les copropriétaires, ou entre un copropriétaire et le syndicat, se prescrivent par un délai de dix ans ;

 

Attendu que pour déclarer Mme X... irrecevable en son action en annulation, l’arrêt retient par motifs adoptés que toute action personnelle se prescrit par dix ans et qu’il en résulte que toutes les demandes relatives à des modifications du règlement de copropriété sont prescrites ;

 

Qu’en statuant ainsi, alors que la prescription de l’article 42 n’est pas applicable à l’action tendant à faire déclarer une clause non-écrite en application de l’article 43, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

 

Sur le second moyen :

 

Vu l’article 1134 du code civil, ensemble les articles 8 et 9 de la loi du 10 juillet 1965 ;

 

Attendu que pour rejeter la demande de Mme X... relative à l’activité de serrurerie industrielle et à l’usage de la cour, l’arrêt retient que le bâtiment B est à usage commercial, que l’exploitation d’un fonds de commerce y est donc tout à fait licite, aucune pièce du dossier n’établissant l’existence d’une activité industrielle gênante, qu’il en va de même concernant l’usage de la cour à titre de “parking” durant la période d’ouverture du commerce et que cela constitue en milieu urbain un inconvénient normal de voisinage ;

 

Qu’en statuant ainsi, sans rechercher si les conditions d’exercice de l’activité du locataire de la SCI Tête d’Or respectaient la clause du règlement de copropriété relative aux bruits, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il dit qu’à défaut d’autorisation la SCI Tête d’Or devra retirer la boîte aux lettres installée sur le portail commun, l’arrêt rendu le 30 mars 2006, entre les parties, par la cour d’appel de Lyon ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Lyon, autrement composée ;

 

Condamne la SCI Tête d’Or, le syndicat secondaire bâtiment A de l’ensemble immobilier et le syndicat principal de l’ensemble immobilier 76 rue Eugène Pons, 37 rue J. Soulary, 7-9 rue Mascrany aux dépens ;

 

Vu l’article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer, ensemble, à Mme X... la somme de 2 500 euros ;

 

 

commentaires

 

La question d’une éventuelle imprescriptibilité de l’action tendant à faire déclarer non écrite une clause du règlement de copropriété n’est pas nouvelle. Me André Brane l’évoquait déjà en 1983 [1]

Par un arrêt du 11 janvier 1983, la Cour de cassation avait censuré un arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait déclaré prescrite l’action de copropriétaires tendant à la modification d’une clause du règlement de copropriété. La Cour de cassation jugeait alors « qu’en statuant ainsi alors que les actions fondées sur l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 ne sont pas soumises aux dispositions de l’article 42 de cette loi, la Cour d’appel a violé le texte susvisé ».

La pérennité de cette controverse est d’autant plus irritante que, vingt cinq ans après, on peut constater l’instabilité de la jurisprudence relative à l’application de l’article 43. Des clauses réputées non écrites il y a vingt ans sont redevenues licites de nos jours !

 

On ne voit pas pourquoi « les actions fondées sur l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 ne sont pas soumises aux dispositions de l’article 42 ». Ces dispositions sont de portée générale et rien, dans l’article 43, ne laisse apparaître le moindre germe d’exception à ce dispositif qui fait application de la prescription décennale aux actions personnelles nées de la loi et renvoie les autres par défaut à la prescription de droit commun.

La mise en cause de la clause d’une convention collective [2] par l’un des copropriétaires auxquels elle s’applique est bien une action personnelle entrant dans le champ du statut de la copropriété.

M. Giverdon a fait valoir qu’elle « tend à faire cesser le trouble qu’il [le copropriétaire] subit dans l’exercice d’un attribut de son droit de propriété et présente, en conséquence, un caractère réel. La mise en cause d’une clause d’un bail accordant au preneur des prérogatives excessives aurait les mêmes effets. L’action tendant à y remédier n’en serait pas moins une action personnelle.

 

Une autre affaire est de savoir si on peut, au moins dans certains cas, parler d’imprescriptibilité. Les approximations abondent dans cette controverse et il faut recadrer le débat.

Il faut en premier lieu distinguer les clauses illégales, des clauses illicites.

Une clause est illégale lorsqu’elle est frontalement contraire à une disposition légale. Ainsi lorsque les charges d’ascenseur sont réparties en fonction des tantièmes généraux (article 10 alinéa). Dans ce cas un copropriétaire peut à tout moment invoquer l’illégalité. L’illégalité subsiste avec constance. On peut oser une comparaison avec le délit continu, infraction « caractérisée par le fait que sa consommation peut se prolonger dans le temps par la persistance de la volonté délictueuse de son auteur ». Il n’y a pas alors de prescription. Le problème de la prescription ne peut se poser que si le copropriétaire demande la révision des répartitions pour les exercices antérieurs.

Une clause est encore illégale si elle énonce que l’assemblée générale peut décider la vente d’une partie commune à la majorité des voix de tous les copropriétaires. Cet énoncé est frontalement contraire aux dispositions de l’article 26 de la loi.

L’illégalité ne trouve pas exclusivement sa source dans les dispositions du statut de la copropriété. Une clause peut être illégale parce qu’elle est contraire à une disposition de droit commun. Ainsi pour les clauses relatives aux animaux de compagnie, ou au contraire celle qui permettrait l’hébergement de chiens de combat au mépris des dispositions générales en vigueur.

 

Notons encore qu’avec l’adaptation des règlements de copropriété prévue par l’article 49, toutes les clauses illégales devraient avoir disparu des règlements de copropriété. Il est toujours possible de rêver !

 

En matière de copropriété, on ne peut jamais dire au présent de l’indicatif qu’une clause est illicite. Elle peut être arguée d’illicéité mais elle ne devient illicite qu’après constatation de son illicéité soit par une décision de l’assemblée prise à l’unanimité, soit par une décision judiciaire devenue définitive.

L’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 est ainsi conçu : « Le règlement de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires en dehors de celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation. »

Qui donc peut dire qu’une clause du règlement impose aux droits d’un copropriétaire une restriction justifiée, - ou non justifiée -, par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation ? Le Juge et lui seul, hormis le cas d’un accord unanime des copropriétaires qui ferait disparaître la question.

L’illicéité ne peut résulter que d’une appréciation subjective.

On peut seulement admettre un rôle primordial de la jurisprudence et avancer l’illicéité d’une clause en invoquant un courant prétorien majoritaire et un certain nombre de décisions favorable à l’illicéité. Mais on connaît bien, dans notre domaine, les errements de la jurisprudence et les revirements de la Cour de cassation.

Les clauses interdisant la vente séparée d’un lot accessoire à une personne étrangère à la copropriété sont déclarées licites dans certains cas, illicites dans d’autre. Même constatation pour la clause interdisant la division d’une fraction, selon que l’immeuble est plus ou moins « cossu » [3].

 

L’illicéité ne peut avoir la persistance constante de l’illégalité puisqu’elle n’existe pas tant qu’elle n’a pas été constatée. C’est bien dans ce cas que se pose la question de la prescription extinctive de l’action du copropriétaire qui attaque la clause. Il ne pouvait ignorer l’existence de cette clause. Il l’a laissé subsister. Pendant ce temps, elle a peut-être contrarié le projet d’un autre copropriétaire qui s’y est finalement conformé. Le demandeur d’aujourd’hui s’est peut-être opposé au demandeur d’hier ! Il est alors normal qu’on oppose la prescription à son action.

 

L’adaptation des règlements de copropriété n’a pas fait disparaître les clauses susceptibles d’être déclarées illicites. Les praticiens avisés, encouragés par les auteurs les plus éminents, les ont laissées en place. Heureusement d’ailleurs. Beaucoup d’entre elles sont judicieuses. Certaines, condamnées dans le passé, ont retrouvé une pleine vigueur.

 

On peut citer comme exemple la clause de solidarité entre les indivisaires pour le paiement des charges.

Elle a été condamnée par certains auteurs [4]. La jurisprudence l’a déclarée illicite [5]

Elle a été validée en 2004 par la Cour de cassation [6] La Cour d’appel de Paris a suivi ce bon exemple [7] . Mieux encore : la Cour de cassation, en 2007, a étendu  l’efficacité de la clause de solidarité des indivisaires figurant dans le règlement de copropriété à toutes les origines de l’indivision, notamment l’origine successorale [8].

Il en a été de même pour la clause visant le nu-propriétaire et l’usufruitier, finalement validée par un arrêt de la Cour de cassation du 30 novembre 2004 [9]

 

Que devient alors la « clause réputée non écrite », non avenue par le seul effet de la loi et  sensée n’avoir jamais existé ?

Notons d’abord que l’expression a été appliquée indistinctement, et à tort, aux cas d’illégalité et à ceux d’illicéité. On trouve cette confusion dans une étude de Me Gélinet, qui a eu par ailleurs le grand mérite de décrire le mécanisme de l’éradication pour aboutir logiquement à la notion de retranchement. Un autre mérite est d’avoir pressenti dès 1999 la distinction que nous avons prônée ci-dessus : « Peut-être y aurait-il seulement à effectuer une distinction entre clauses objectivement antagonistes  au statut et clauses a priori non manifestement  incompatibles avec lui » [10]

Dans le cas de la clause de solidarité des indivisaires, elle s’est trouvée réputée non écrite et sensée n’avoir jamais existé en 1980 pour ressusciter dans toute sa gloire en 2004 ! Peut-elle être réintégrée dans le règlement de copropriété si elle a été retranchée lors d’une adaptation imprudente ?

Voilà une assez jolie question !

 

Une conclusion nous paraît s’imposer : il n’y a pas d’imprescriptibilité dans le cas des clauses illicites, au sens que nous avons retenu.

 

 

 

 

Mise à jour

28/06/2008

 

 

 



[1] Brane Copropriété et prescription trentenaire Revue de droit immobilier 1983 p ; 423

[2] Le règlement est bien une convention collective ayant vocation à s’imposer à des personnes (acquéreurs futurs) qui n’ont pas été parties à son établissement.

[3] Voir en particulier pour la licéité Cass. civ. 3e 06/05/1987 Loyers et copropriété août-sept. 1987 n° 278 et pour l’illicéité CA Paris 23 A 04/03/1998 Defrénois 1998 p. 91 note Atias.

[4] Citons M. Dagot JCP N 1979 part. p. 464 et ss et M. Giverdon La copropriété 4e ed. n° 175

[5] TGI Grenoble 05/05/1980 D 1981 IR 215 note Giverdon ; CA Versailles 02/06/1988 D 1990 somm 190

[6] Cass. civ. 3e 01/12/2004 Loyers et copropriété 2005 n° 36 ; Administrer février 2005 p. 53 note Bouyeure.

[7] CA Paris  23e B 29/09/2005 Loyers e copropriété 2006 n° 19

[8] Cass 23/05/2007

[9] Cass. civ. 3e 30/11/2004 (03-11201) Administrer avril 2005 note Bouyeure

[10] Gélinet Clauses réputées non écrites et copropriété Administrer février 1999 p. 30 Voir aussi Vigneron Jurisclasseur copropriété fasc. 60 n° 64 et suivants à propos de l’adaptation du règlement de copropriété.