abandon du lot

lot transitoire inconstructible

abandon possible (non)

nécessité d’une acquisition du lot par le syndicat

 

Arrêt et commentaire ; suggestion en ce cas d’une demande en constatation de la nullité ou de l’inexistence du lot fondée sur l’absence de  partie privative (droit de construire)

 

Cassation  civile 3e   7 avril 2004                                                     Rejet.

N° de pourvoi : 02-14670

Cour d’appel de Paris, 21/02/2002

 

 

Sur le premier moyen :

 

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que le syndicat des copropriétaires de l’immeuble 46/48 rue Raffet a assigné la société en nom collectif Volney Invest (SNC), marchand de biens, propriétaire dans cet immeuble de deux lots n° 176 et 684 constitués par le droit d’affouiller les bâtiments A et B afin de réaliser quatre niveaux de sous-sol, en paiement de charges de copropriété impayées ;

 

Attendu que la SNC fait grief à l’arrêt de la condamner à payer des charges de copropriété, alors selon le moyen :

 

1 / que dès lors que le lot transitoire ne peut plus recevoir la destination qui avait été prise en considération à l’origine, le lot transitoire perd sa consistance et devient sans valeur, de sorte que l’obligation de participer aux charges communes générales ne peut plus être à la mesure de la valeur relative, et qu’elle est dépourvue de cause ; qu’en refusant de considérer dans ces conditions que la répartition des charges communes, telle qu’elle était fixée par le règlement de copropriété, était non écrite, les juges du fond ont violé l’article 1134 du Code civil, ensemble les articles 5 et 10 de la loi du 10 juillet 1965 ;

 

2 / qu’en tout cas, le lot transitoire, ne peut être assimilé, pour l’estimation de sa valeur et la détermination de l’obligation aux charges, comme un terrain construit, qu’en s’abstenant de rechercher si la répartition prévue par le règlement de copropriété était bien fondée sur la valeur réelle du lot, les juges du fond ont privé leur décision de base légale au regard des articles 1134 du Code civil, 5 et 10 de la loi du 10 juillet 1965 ;

 

 

Mais attendu qu’ayant relevé par motifs adoptés que les lots de la SNC étaient des lots transitoires qui étaient soumis au statut de la copropriété et comme tels, devaient participer aux charges de copropriété en fonction de leurs tantièmes sans pouvoir prétendre qu’elles ne pourraient avoir aucune utilité pour ces lots et constaté par motifs propres qu’il importait peu que ces lots soient actuellement inconstructibles et ne profitent pas notamment des espaces verts, de l’eau froide, du gardiennage ou du nettoyage et que la disparition de son fait de la possibilité d’affouiller le sous-sol ne pouvait faire disparaître la cause juridique de son obligation aux charges, la cour d’appel a retenu à bon droit que la SNC était tenue au paiement des charges générales afférentes à ses lots ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

 

Sur le second moyen :

 

 

Attendu que la SNC fait grief à l’arrêt de refuser de faire produire effet à l’abandon par elle décidé et de la condamner à payer des charges de copropriété, alors, selon le moyen :

1 / que la possibilité pour le titulaire d’un droit réel de l’abandonner est un principe général et absolu, et il emporte disparition à compter du jour de l’abandon de l’obligation réelle qui l’accompagne ; que cette règle d’application générale s’applique aux lots de copropriété, et notamment aux lots transitoires ; qu’en décidant le contraire, les juges du fond ont violé l’article 544 du Code civil, ensemble le principe suivant lequel le titulaire d’un droit réel peut unilatéralement abandonner son droit à l’effet de se libérer de la charge qui l’assortit ;

 

2 / que dès lors que la règle énoncée à la première branche participe du régime du droit réel, les considérations de l’arrêt relatives à l’existence d’un pacte social qui ne concerne que la source du droit, ou encore à la cause juridique, qui ne concerne, elle aussi, que la cause du droit assorti de l’obligation, étaient indifférentes ; qu’à cet égard également, l’arrêt attaqué a été rendu en violation de l’article 544 du Code civil, ensemble le principe suivant lequel le titulaire d’un droit réel peut unilatéralement abandonner son droit à l’effet de se libérer de la charge qui l’assortit ;

 

Mais attendu qu’ayant exactement relevé par motifs propres et adoptés que le caractère contractuel du règlement de copropriété impliquait qu’un copropriétaire ne pouvait se dégager unilatéralement de ses obligations sans le consentement des autres copropriétaires, et constaté que les acheteurs des appartements rénovés par le marchand de biens Volney Invest avaient procédé à leur acquisition en tenant compte des charges qu’ils devraient acquitter et qu’ils ne pouvaient voir augmenter celles-ci de façon conséquente parce que leur vendeur avait estimé que la création d’emplacement des parkings en sous-sol serait moins rentable que ce qu’il avait cru pouvoir en espérer, la cour d’appel a retenu, à bon droit, que le syndicat des copropriétaires ne pouvait procéder à aucune acquisition immobilière sans que fût intervenue une décision de l’assemblée générale statuant à la majorité prévue à l’article 26 a) de la loi du 10 juillet 1965 ;

 

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

 

REJETTE le pourvoi ;

 

 

Condamne la société Volney invest aux dépens ;

 

Vu l’article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de la société Volney invest ;

 

 

COMMENTAIRE

 

Nous délaissons ici le problème de l’assujettissement du propriétaire d’un lot transitoire (lot comportant un droit de construire sur une portion déterminée du terrain commun) à l’obligation de contribuer aux charges communes. La solution est désormais admise.

 

La particularité de l’espèce était qu’après avoir procédé à la rénovation de l’immeuble existant, le rénovateur se trouvait privé de la possibilité de construire un garage souterrain pour des raisons administratives..

Il prétendait donc à une exonération de la contribution aux charges collectives liée au lot transitoire devenu inconstructible. La Cour de cassation écarte toute possibilité de la remise en cause de l’état de répartition des charges en raison de « la disparition de son fait de la possibilité d’affouiller le sous-sol ». La solution aurait-elle été différente si la disparition du droit d’affouillement avait eu pour cause une modification des règles indépendante de la volonté du rénovateur ? On peut se poser la question.

 

Le rénovateur prétendait en outre exercer, faute de mieux, son droit d’abandon.

Le problème de l’abandon d’un lot de copropriété a eu les honneurs de l’actualité doctrinale après la promulgation de la loi du 28 juin 1938. Le professeur Chevallier [1] y voyait un utile correctif aux dangers de l’organisation majoritaire. MM. Bouvet et Cabanac citaient des cas pratiques le justifiant [2] . Mais c’est surtout Mme Kischinewski-Broquisse qui a traité cette question [3] .Après avoir rappelé que l’Ancien droit, s’agissant d’une copropriété, permettait souvent l’abandon de l’étage, elle rappelait différents cas dans lesquels la loi, et notamment le Code civil, permettait l’abandon pour se soustraire à des obligations, mais aussi des décisions judiciaires admettant ou rejetant l’abandon.

La Cour d’appel d’Angers, pour une maison du XVIe siècle mise en copropriété en 1809, avait opté pour le refus d’abandon au motif que « les droits et charges de l’un des propriétaires ne peuvent faire l’objet d’un abandon unilatéral, mais seulement d’une cession acceptée » [4].

L’arrêt rapporté adopte la même solution.

Sans méconnaître les inconvénients de l’abandon, Mme Kischinewski-Broquisse concluait à l’époque : «  nos préférences nous entraînent cependant à admettre que les charges nées de la copropriété sont des obligations propter rem dont on peut s’affranchir par le délaissement ». Elle précisait toutefois que l’abandon n’était libératoire que pour l’avenir, au contraire de son président de thèse le Professeur de Juglart, favorable à l’extinction des dettes exigibles !

La doctrine et la jurisprudence anciennes concernaient des immeubles tout aussi anciens et de format classique. On peut difficilement concevoir de nos jours une possibilité d’abandon qui laisserait à la communauté les soins et soucis attachés à un lot abandonné.

La doctrine et la jurisprudence actuelles expriment que l’obligation au paiement des charges trouve sa source dans les dispositions du règlement de copropriété. Il s’agit bien alors d’une obligation personnelle. On peut légitimement rester attaché à la théorie de M. de Juglart et de sa disciple : le copropriétaire n’est tenu au paiement des charges qu’à raison de sa qualité de propriétaire du lot.  L’obligation est alors une obligation réelle, propter rem, L’article 6-2 nouveau du décret du 17 mars 1967 va dans le même sens en imposant à l’acquéreur la charge de tout appel de fonds postérieur à la notification du transfert de propriété et en lui laissant le bénéfice de tout solde créditeur attaché au lot.

 

Il nous semble finalement que le rénovateur aurait mieux fait de demander au tribunal de constater l’inexistence du lot transitoire ; on sait dans ce cas la partie privative est constituée par le droit de construire. Le lot est, - ou est devenu -, inconstructible. Il n’y a donc plus de partie privative, et donc plus de lot !

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

29/08/2006

 

 



[1] Chevallier Commentaire de la loi du 28 juin 1938 DH 1939 4 p. 73 et s.

[2] AJPI 1955 1 p 173 et s.

[3] Statut de la copropriété des immeubles n° 243 et s. Paris Librairies Techniques 1958.

[4] CA Angers 16/06/1943 jcp 1943 ii 2392 note Becqué