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Implantation illicite de caravanes sur un terrain (art. R. 449-9 Code de l'urbanisme)

Refus implicite d’une demande de raccordement au réseau d’eau potable

Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme (art. 8)

Ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale

Annulation du refus

 

Conseil d’État 15/12/2010  n° 323250

 

 

« Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 15 décembre 2008 et 11 mars 2009 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour Mme Sandra A, demeurant 36, rue de la Fontaine à Gouvernes (77400) ; Mme A demande au Conseil d'Etat :

 

1°) d'annuler l'arrêt n° 07PA01761 du 16 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 0406457 du 15 février 2007 du tribunal administratif de Melun rejetant sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet opposée par le maire de la commune de Gouvernes à sa demande, en date du 20 septembre 2004, tendant au raccordement du terrain dont elle est propriétaire au réseau d'eau potable ;

 

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;

 

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de l'urbanisme ;

Vu la loi du 2 mai 1930 ;

Vu le code de justice administrative ;

 

 

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Prévost, chargé des fonctions de Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme A, et de la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la commune de Gouvernes,

- les conclusions de Mme Nathalie Escaut, rapporteur public ;

 

La parole ayant été à nouveau donnée à la SCP Masse-Dessen, Thouvenin, avocat de Mme A et à la SCP Coutard, Mayer, Munier-Apaire, avocat de la commune de Gouvernes ;

 

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme A a installé sur un terrain dont elle est propriétaire situé à Gouvernes (Seine-et-Marne) deux caravanes dans lesquelles elle habite avec son compagnon et leurs cinq enfants ; que ce terrain étant situé en zone ND du plan d'occupation du sol, dans le périmètre d'un site classé et dans le périmètre de protection d'un monument historique, l'installation des caravanes y était interdite par les dispositions en vigueur de l'article R. 449-9 du code de l'urbanisme ; que le maire de la commune de Gouvernes a implicitement rejeté sa demande en date du 20 septembre 2004 tendant au raccordement de ce terrain au réseau d'eau potable ; que Mme A se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 16 octobre 2008 par lequel la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Melun du 15 février 2007 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite ;

 

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ;

 

Considérant que la décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, un raccordement d'une construction à usage d'habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, si une telle ingérence peut être justifiée par le but légitime que constituent le respect des règles d'urbanisme et de sécurité ainsi que la protection de l'environnement, il appartient, dans chaque cas, à l'administration de s'assurer et au juge de vérifier que l'ingérence qui découle d'un refus de raccordement est, compte tenu de l'ensemble des données de l'espèce, proportionnée au but légitime poursuivi ;

 

Considérant qu'il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que le refus implicite de raccordement du terrain au réseau d'eau potable opposé par le maire de la commune de Gouvernes à la demande présentée par Mme A ne pouvait être regardé comme une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale, la cour a commis une erreur de droit et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, dès lors et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, Mme A est fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

 

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la commune de Gouvernes le versement à Mme A de la somme de 3 000 euros ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Mme A, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

 

D E C I D E :

 

Article 1er : L'arrêt du 16 octobre 2008 de la cour administrative d'appel de Paris est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Paris.

 

Article 3 : La commune de Gouvernes versera à Mme A une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la commune de Gouvernes tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Sandra A, à la commune de Gouvernes et au ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. »

 

 

 

Mme A a installé sur un terrain dont elle est propriétaire situé à Gouvernes (Seine-et-Marne) deux caravanes dans lesquelles elle habite avec son compagnon et leurs cinq enfants ;

Ce terrain est situé en zone ND du plan d'occupation du sol, dans le périmètre d'un site classé et dans le périmètre de protection d'un monument historique. L’installation des caravanes y était interdite par les dispositions en vigueur de l'article R. 449-9 du code de l'urbanisme.

Le maire de la commune de Gouvernes a implicitement rejeté sa demande en date du 20 septembre 2004 tendant au raccordement de ce terrain au réseau d'eau potable

Par arrêt du 16 octobre 2008 la cour administrative d'appel de Paris a rejeté son appel formé contre le jugement du tribunal administratif de Melun du 15 février 2007 qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite.

Mme A se pourvoit en cassation contre l'arrêt de la CAA Paris.

 

La réaction instinctive du profane en présence d’un tel exposé est de considérer qu’en violant une interdiction formelle d’installer des caravanes sur ce terrain Mme A… s’était mise en situation de ne pas obtenir les raccordements demandés. Deux juridictions avaient successivement adopté cette solution.

 

C’est avec effarement qu’il constate avec effarement l’intrusion dans ce litige de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales !

Il en admet bien volontiers les grands principes exprimés :

« Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance

« Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, ….. »

 

Mais il se demande en quoi « la décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, un raccordement d'une construction à usage d'habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d'une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale garanti par les stipulations précitées ».

Il considère à juste titre qu’une ingérence que ne peut s’entendre que d’une intrusion illicite et malveillante dans les affaires d’autrui et, pour tout dire, d’une action critiquable ; que tel n’est pas le cas du silence opposé à une requête. Au mieux, il considère que toute requête d’un administré mérite une réponse du maire, serait-elle négative. Il est vrai qu’en l’espèce le maire aurait pu faire valoir les dispositions de l’article R 449-9 du code de l’urbanisme ayant pour objet légitime la protection d'un site classé et celle d'un monument historique.

 

Le juriste voit l’affaire d’un autre œil.

Il sait bien qu’en présence d’un «  cas social », - on peut du moins le penser à l’évocation du couple et de ses cinq enfants -, l’administration doit avoir la prudence de ne pas se limiter à un refus implicite résultant de son silence et doit au contraire veiller à motiver son refus.

Il considère alors que le Conseil d’État a estimé devoir sanctionner une faute procédurale sans pour autant prendre parti sur le fond de l’affaire.

 

Il n’est pas certain du tout que tel soit le cas en l’espèce. Le Conseil d’État affirme péremptoirement « qu'en jugeant que le refus implicite de raccordement du terrain au réseau d'eau potable opposé par le maire de la commune de Gouvernes à la demande présentée par Mme A ne pouvait être regardé comme une ingérence dans son droit au respect de la vie privée et familiale, la cour a commis une erreur de droit et méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales », sans pour autant indiquer en quoi un refus implicite peut être une ingérence.

 

Certains y verront une prise de position plus politique que juridique et c’est bien là que le bât blesse, dès lors qu’au nom respectable de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales la loi française se trouve bafouée sans même qu’on puisse invoquer en ce cas sa « force aveugle ».

 

 

 

 

 

 

 

Mise à jour

22/03/2011