Copropriétés maritime et immobilière :  patrimoine vide mais personnalité morale
Cour d'appel de BASSE - TERRE (1ère ch.) 6 Novembre 1995

 

 

Navire, Propriété, Copropriété, Personnalité morale

Le fait que la loi du 3 janvier 1967 portant statuts des navires et autres bâtiments de mer qui a réglementé l'exploitation des navires en copropriété, n'ait pas spécialement disposé qu'une telle copropriété disposait de la personnalité morale, ne permet pas d'en déduire que ce groupement n'a pas, en réalité, la personnalité juridique. En effet la personnalité civile n'est pas une création de la loi ; qu'elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par la suite d'être juridiquement reconnus et protégés.

 

"LA COUR"

Par déclarations remises au greffe de la Cour le 29 Septembre 1993, la CFI Rufond représentée par son administrateur judiciaire d'une part, la Banque de l'Eurafrique d'autre part, ont respectivement relevé appel du jugement du 22 septembre 1993 du Tribunal Mixte de Commerce de Basse-Terre qui, statuant sur la tierce opposition formée par la Sté CFI Rufond et la Banque de l'Eurafrique contre le jugement du tribunal Mixte de Commerce du 7 juillet 1993 ayant prononcé le redressement judiciaire de la copropriété maritime "Rocco JR" représentée par la Société Cogedom a rejeté ces oppositions.

Les 2 procédures d'appel ont été jointes par le Conseiller de la Mise le 20 Octobre 1994 Le 13 juillet 1995 Me Rogeau, es qualité de liquidateur de la Sté CFI Rufond s'est désisté de l'appel relevé par cette dernière

 

Moyens des Parties

A l'appui de son recours la Banque de l'Eurafrique, créancier hypothéquaire de la Sté CFI Rufond ayant inscrit une hypothèque maritime sur le navire Rocco JR, qui demande à la Cour de constater que la copropriété maritime de Rocco JR n'a pas la personnalité morale, en conséquence d'infirmer le jugement dont appel, d'annuler le jugement du 7 juillet 1993 ayant ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la copropriété maritime Rocco JR et de condamner l'intimé à lui payer la somme de 25.000 F au titre de l'article 700 du NCPC, soutient les moyens suivants :

- Etant acquis que les copropriétés maritimes ou sociétés de quirataires ne sont pas immatriculées au registre du commerce et des sociétés celles-ci ne peuvent pas jouir de la personnalité morale en application des dispositions de l'article 1842 du Code Civil.

- La loi du 3 janvier 1967 portant statuts de navires est muette sur la nature juridique et la personnalité morale d'une copropriété maritime

 

- Dans une société de quirataires la propriété du navire reste de toutes façon partagée entre les quirataires, ce bien n'entrant pas dans le patrimoine de la société qui se trouve ainsi dépourvu de tout élément d'actif.

Me Rabise-Bes, es qualité de liquidateur de la copropriété maritime Rocco JR conclut à la confirmation tant du jugement entrepris ayant rejeté l'opposition fait par la Banque de l'Eurafrique et la Sté CFI Rufond que de celui du 7 juillet 1993. Me Rabise-Bes es qualité qui réclame paiement d'e la somme de 5000 F au titre de l'article 700 du NCPC fait essentiellement valoir que le fonctionnement d'une copropriété maritime est soumis à la loi de la majorité qui la distingue de l'institution de l'indivision, que les quirataires participent aux profits et aux pertes de l'exploitation au prorata de leurs intérêts dans le navire, que l'article 20 de la loi du 3 janvier 1967 définit les engagements de la copropriété, que tant les Tribunaux que la doctrine ont reconnus que la qualification de société pour une copropriété maritime était difficilement contestable et qu'une telle copropriété, organisée comme une personne morale et en possédant les attributs était dotée de la personnalité morale, même si celle-ci est limitée.

 

Motifs et décision

Attendu que la recevabilité des appels n'est pas discutée ; qu'il convient de donner acte à Me Rogeau, es qualité de liquidateur de la Sté CFI Rufond, de ce qu'il se désiste de l'appel relevé par cette dernière.

Attendu que la personnalité civile n'est pas une création de la loi ; qu'elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par la suite d'être juridiquement reconnus et protégés

Attendu que Le fait que la loi du 3 janvier 1967 portant statuts des navires et autres bâtiments de mer qui a réglementée l'exploitation des navires en copropriété, n'ait  pas spécialement disposé qu'une telle copropriété disposait de la personnalité morale, ne permet pas d'en déduire que ce groupement n'a pas, en réalité, la personnalité juridique.

Attendu qu'ainsi que le Tribunal l'a relevé, il résulte tant de la loi susvisée que des statuts de la copropriété maritime Rocco JR dont la personnalité morale est présentement déniée par la Banque de l'Eurafrique, que cette copropriété est pourvue d'une organisation interne qui lui permet, à la différence, de l'indivision, d'imposer la loi de la majorité par l'intermédiaire de son organe social, le gérant, lequel peut notamment en vertu de la loi, hypothéquer le navire avec le consentement d'une majorité des intérêts représentant les 3/4 de la valeur du navire, ou encore en vertu des statuts, représenter en justice la copropriété et agir en son nom en toutes circonstances.

Attendu par ailleurs que s'il est peu contestable que la copropriété maritime puisse être qualifiée de "société", usage ancien qui se trouve conforté par le loi du 3 juin 1967 qui a transposé en la matière nombre de règles des sociétés de commerce, notamment celles relatives à la protection accordée à la minorité, une telle qualification n'est déterminante ni dans un sens, ni dans l'autre à propos du fait de savoir si cette copropriété possède la personnalité morale puisqu'une société est un contrat mais ce n'est pas forcément une personne morale tandis qu'inversement de nombreux groupements qui ne sont pas des sociétés ont la personnalité morale ; que l'argumentation de la Banque de l'Eurafrique sur l'application en l'espèce des disposition de l'article 1842 du code civil disposant que les sociétés autres que les sociétés en participation jouissent de la personnalité morale à compter de leur immatriculation, et le fait incontesté qu'une copropriété maritime n'est pas immatriculée au registre du commerce et des sociétés n'est donc nullement déterminante.

Attendu enfin que s'il est vrai qu'une copropriété maritime ne dispose pas d'un patrimoine propre puisque ce sont les copropriétaires qui sont directement propriétaires de leurs parts dans le navire il a été dit que l'existence d'un patrimoine n'est pas, pour qu'un groupement puisse disposer de la personnalité morale, une condition indispensable, que les premiers Juges ont eu raison de relever que, tant le syndicat de copropriété" des immeubles bâtis que le groupement d'intérêts économiques (GIE), dotés par la loi elle-même de la personnalité morale ne disposent pourtant pas d'un patrimoine propre, voire même connaissent une appropriation privée par les membres du groupement.

Attendu qu'il n'existe aucun empêchement pour reconnaître à une copropriété maritime telle que celle exploitant le navire Rocco JR la personnalité morale dés lors qu'un tel groupement répond tant du fait de la loi que de ses statuts, aux critères juridiques exposés par la Cour en préliminaire de sa motivation.

Attendu que c'est donc à bon droit que le Tribunal Mixte de Commerce a considéré que la copropriété maritime Rocco JR dès lors qu'elle possédait la personnalité morale pouvait faire l'objet d'une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire telle que résultant de la loi du 25 janvier 1985 ; que le jugement entrepris ayant rejeté la tierce opposition de la Banque de l'Eurafrique contre la décision qui a prononcé le redressement judiciaire de la copropriété maritime Rocco Jr sera en conséquence confirmé.

Attendu que la Banque de l'Eurafrique sera condamnée à payer au titre de l'article 700 du NCPC une somme que l'équité commande de fixer à 5000 F

Par ces motifs

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et dernier ressort .

Donne acte à Me Rugeau, es qualité de liquidateur de la Sté CFI Rufond de son désistement d'appel.

Déclare recevable en la forme mais non fondé l'appel de la Banque de l'Eurafrique contre le jugement du Tribunal Mixte de Commerce de Basse-Terre du 22 septembre 1993; .

Confirme cette décision en toutes ses dispositions.

Premier pré : M J.P Sébileau ; Pré. : Mme E. Raynaud, prés. de chambre. M.J.-M Bertrand, conseiller. Appelant :

Me Payen ; Intimée : Me Camenen.

 

COMMENTAIRES :

 

L’arrêt ci dessus, outre qu’il rappelle qu’il n’y a pas de copropriété que terrienne, brosse un tableau rapide mais saisissant de ce qu’est un copropriété, qu’il s’agisse d’un navire ou d’un immeuble.

Un groupement de personnes entre lesquelles est répartie la propriété d’un bien

une organisation interne qui lui permet, à la différence, de l'indivision, d'imposer la loi de la majorité par l'intermédiaire de son organe social, le gérant

la personnalité civile n'est pas une création de la loi ; qu'elle appartient en principe à tout groupement pourvu d'une possibilité d'expression collective pour la défense d'intérêts licites, dignes par la suite d'être juridiquement reconnus et protégés, selon l’analyse faite par le Tribunal et entérinée par la Cour.

Pas de patrimoine, ou plus exactement, selon nous, un patrimoine vide. La personnalité moral impose un patrimoine, qui est par nature un attribut de la personnalité, mais dans l’un et l’autre cas, ce patrimoine, simple récipient, est vide de tout bien matériel.

 

On notera que la copropriété maritime est ici une société. On ne reviendra pas ici sur les origines historiques des deux institutions. La propriété quirataire[1] a toujours été affaire de marchands.

 

 

 

 

Mise à jour

02/03/2006

 

 



[1] On appelle « quirat » une part de navire d’où le terme de propriété quirataire. L’origine du terme est arabe, liée précisément aux plus anciennes sociétés du monde arabe.